MICHEL BUTOR
LES ATELIERS DE PICASSO
5bis rue Schoelcher
1913 -1916
Marcelle Humbert
Le piège aux femmes
Et qui en effet nous sont arrivées, leurs yeux tout étonnés de son apparence et de ses trésors. Et il y avait des greniers remplis de pichets, de verres, de bouteilles, de chaises, de guitares et de lampes.
Les papiers à l’aventure
On déménage encore. Pas très loin. On traîne maintenant tant d’objets après soi dans sa solitude. Le nouvel atelier dans lequel on s’arrange donne sur des arbres et le cimetière Montparnasse. On dessine, on n’arrête pas de dessiner.
Les losanges reprennent des couleurs
Arlequin découpe le journal.
Sur une chaise Louis-Philippe on installe La petite fille aux pieds nus qu’on a ressortie des réserves. On ouvre une cave. Voici des hiboux. On achète un autre douanier Rousseau, le grand portrait d’une femme surnommée Yadwigha.
Dans le palais de mon frère les ménines avaient leurs chambres et leurs jardins où s’ébattaient les enfants qu’elles lui avaient donnés ; mais certaines bientôt ne songeaient plus qu’à sortir ; les lamentations ont résonné dans les corridors, et d’affreuses légendes couraient dans les villages ; et quand d’autres venaient, elles tremblaient davantage en ouvrant les placards où étaient pendues toutes les robes anciennes. Et elles avaient l’impression qu’il s’agissait de ses anciennes épouses assassinées, pendues ; et elles s’apercevaient que le sol était taché de sang, la clef leur échappait des mains dans les flaques.
Que voit-on ? L’habit d’Arlequin. On se souvient de la pluie sur Malaga, de ses pâtisseries, du soleil sur la Corogne, car le temps changeait aussi dans ces pays-là et dans ce temps-là. C’était la gêne et l’attente ; maintenant c’est la célébrité et le deuil. On se souvient des horizons découpés de Horta de Hebro et de Sorgues, des arbres de Barcelone, de toutes ces cathédrales espagnoles. C’était la corde raide et la fortune du pot ; c’est toujours l’inquiétude et même l’angoisse.
Arlequin passe à travers le mur.
Apollinaire et Braque passent. Modigliani et Fernand Léger. Eva sait les recevoir. On achète une Baigneuse assise de Renoir. On se souvient des ateliers de Montmartre. C’était non seulement la pauvreté, mais la misère ; c’est encore l’exil et la nostalgie. On traverse la Seine. C’était déjà la notoriété et le souci. On se promène entre les tombes. On pousse jusqu’au 242 boulevard Raspail. Voici du ciel. C’était déjà l’aisance et l’encombrement.
Car dans son effort pour saisir le temps à pleines mains, il conservait le plus qu’il pouvait de tout ce qu’il avait réussi à conquérir une fois.
Il y a une bouteille sur la table. On trempe sa brosse dans le rouge. On peint L’homme à la pipe, Homme assis au verre, Arlequin jouant de la guitare, Instrument de musique sur un guéridon. On commence l’Homme accoudé sur une table.
Arlequin traverse le cimetière Montparnasse.
Il y a des œuvres qui sont matière à réflexion ; ce sont évidemment celles-là que l’on a tendance à garder. Il y a des pigeons dans une cage. Voici de la mer. Cela fait partie de la vie d’un peintre.
Elles m’appelaient alors à leur secours : “Ariane, ma sœur Ariane, ne vois-tu rien venir ?” Les poils de son poitrail étaient devenus bleus. Et il y avait des cages pleines de chevaux, de taureaux, de coqs, de chèvres, de colombes, de hiboux et de lampes.
LES ATELIERS DE PICASSO
1901-1902 - 130 ter bd de Clichy, Paris ►
1904-1909 - 13 Place Émile Goudeau, Montmartre, Paris ►
été 1909 - Horta de Hebro, Espagne ►
1909-1912 - 11, bd de Clichy, Paris ►
1913 -1916 - 5bis rue Schoelcher ►
1918 -1942 - 22 rue de la Boétie ►
1946 - Château Grimaldi, Antibes ►
1948-1962 - Vallauris, Cannes, Aix-en-Provence ►
1961-1973, Notre Dame de Vie, Mougins►
LES PHOTOGRAPHES QUI FIGURENT DANS CET OUVRAGE DE MICHEL BUTOR