MICHEL BUTOR
LES ATELIERS DE PICASSO
130 ter Boulevard de Clichy
juin 1901-janvier 1902
(Les demoiselles de Pigalle)
Paris-Labyrinthe
Notre oncle Dédale a conçu le palais de mon frère sur les instructions que Minos, notre père, lui avait laissées avant de s’embarquer sur le fleuve souterrain pour aller remplir aux profondes cavernes qu’il n’évoquait devant nous qu’en tremblant, ses nouvelles fonctions d’exécuteur des hautes et basses oeuvres, lui stipulant que non seulement la construction n’en devrait jamais pouvoir être considérée comme achevée, mais aussi que même si tous les ouvriers apeurés en désertaient un jour le chantier, les murs devraient pouvoir continuer tout seuls à se multiplier comme les grilles
Entre copains
On est à Paris. On dessine, on n’arrête pas de dessiner. On est enfin à Paris. Cela n’a pas été facile, et la vie n’y est pas facile. Il pleut. On se souvient de Malaga, de son soleil. On a trouvé un logement. On se souvient de la Corogne, de ses averses. C’était la gêne ; maintenant c’est la pauvreté. On s’enfonce dans la solitude.
Le café-concert
Arlequin débarque.
Mais on a besoin d’aide pour cela. C’est trop difficile d’être seul tout seul. On y fait venir les copains : Manach, Torres Fuentes et sa femme. On ouvre un placard. Voici de la ficelle. Tout le monde a de grandes moustaches.
C’est qu’il se méfiait, notre père Minos, de ce que deviendrait mon frère une fois qu’il nous aurait laissés, et que s’il voulait certes que tout le monde fût attiré vers ce fils qu’il adorait en le craignant déjà, il n’avait nulle envie de le lâcher de par le monde.
Qui est-on ? On a apporté avec soi un certain nombre d’oeuvres, en particulier ce portrait d’une petite fille rencontrée, cheveux ébourriffés et pieds nus, un châle sur les épaules. On fait un peu la fête.
Arlequin trouve un logis.
On a découvert Toulouse-Lautrec. On se souvient de ses frasques à Barcelone, du café des Quatre Chats, des revues d’avant-garde, des demoiselles de la rue d’Avignon, du chantier de la Sagrada Familia. Voici de la tôle. C’était l’attente ; maintenant c’est la nostalgie.
Il n’était pourtant qu’un monstre naissant, et je suis sûre que c’est la construction même qui peu à peu en l’enfermant l’a métamorphosé en ce que l’on connaît, justifiant l’oracle piégeur.
Il y a une bouteille sur une table. On trempe sa brosse dans le jaune. On peint la Femme à la cape, la Fleur dans un vase blanc, Le moulin de la galette, Au café, la Femme aux bras croisés. Ce ne sont pas toujours des portraits, mais on y reconnaît quand même les amis. Il y a les tableaux que l’on montre et ceux que l’on cache.
Arlequin en deuil.
Il y a des pigeons dans une cage. On pense à ses parents, à sa soeur Lola. Et bientôt ce sont les premiers marchands que l’on portraiture. Et puis il faut des modèles pour le nu. On cherche. Voici de la glaise. Cela fait partie de la vie d’un peintre.
Car, dans ses premières années, mon frère se distinguait assez peu des autres enfants des hommes. Il avait l’oeil sans doute particulièrement vif, la main remarquablement rapide, mais s’il était costaud, il était plutôt de petite taille. Il recherchait souvent la solitude, parlait peu, grognait parfois, mais il avait ses tendresses.
LES ATELIERS DE PICASSO
1901-1902 - 130 ter bd de Clichy, Paris ►
1904-1909 - 13 Place Émile Goudeau, Montmartre, Paris ►
été 1909 - Horta de Hebro, Espagne ►
1909-1912 - 11, bd de Clichy, Paris ►
1913 -1916 - 5bis rue Schoelcher ►
1918 -1942 - 22 rue de la Boétie ►
1946 - Château Grimaldi, Antibes ►
1948-1962 - Vallauris, Cannes, Aix-en-Provence ►
1961-1973, Notre Dame de Vie, Mougins►
LES PHOTOGRAPHES QUI FIGURENT DANS CET OUVRAGE DE MICHEL BUTOR