Patrick Quillier
Tristan Cabral a rencontré Rimbaud
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Tristan enfant vivait dans le silence
d’une maison où les mots étaient rares,
le fascinant, modelant son oreille
comme une antenne avide de musique.
L’instituteur recopiait à l’école,
entre midi et deux, quelques poèmes,
plume sergent major calligraphiant
en pleins et déliés les grands classiques.
Un jour l’enfant, 8 ans, prend une page
que l’homme venait de remplir, soufflant
dessus pour faire sécher l’encre.
Il lit
« Ar-thur-Rim-baud », puis déchiffre le texte,
intitulé « Les-E-ffa-rés ».
L’histoire
de ces déshérités devant le pain
qu’ils n’auront pas, graal inaccessible
que la chaleur fait cuire et odorer,
semble à l’enfant un récit qui lui est
personnellement adressé. Il fond
en larmes, balbutie : « Merci, merci
pour les mots ! » à l’instituteur ému.
Ainsi la vie est dans les mots, ainsi
les mots sauvent sa vie.
Arthur Rimbaud,
avec « ses pauvres petits pleins de givre »,
exposés à la neige et à la brume,
écoutant le bon pain lourd et blond cuire,
chantant des choses pour répondre au chant
des croûtes parfumées, tant bien que mal
(car il faut bien tromper la faim, misère !),
mais les chantant bas, comme une prière,
Arthur Rimbaud a rencontré l’enfant
de la demeure du silence.
Alors
Tristan Cabral naissait avec le pain.
Le pain sortait du four chaud comme un sein.
Du sein des mots qui donnaient, à l’enfant
triste, chaleur et vie, sortait Tristan.
Cabral viendrait plus tard, grâce à l’Afrique.