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LIVRE 1 : INTRUSIONS, I

Bribes tirées de la mort de Dom Juan, volume 1

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Depuis longtemps, ici, l’eau ne cesse de grossir. Elle enfle, pousse d’en dessous, remonte en volutes amples, en tourbillons sales qui s’unissent en surface aux pluies denses et lourdes que le vent fait onduler en rideaux opaques ; à perte de vue, les eaux qui viennent de la terre, se mêlent à la diversité de toutes celles qui remuent, enveloppent, tombent : vapeurs, embruns, crachins, bourrasques, tempêtes, tornades... Nos fleuves, riviéres, ruisseaux, torrents, ces chemins séculaires des eaux maîtrisées par leur propre écoulement, se sont brusquement gonflés, comme nourris par des marées monstrueuses, des pluies en cataractes, des fontes imprévues. Ils se pressent, se heurtent, se joignent en des confluences nouvelles avec des tourbillonnements boueux. Nos terres les plus oubliées, celles qui ont été brisées par des millénaires de sécheresse, ces terres désertes qui avaient enfoui dans leurs ventres arides, à notre insu, des nappes souterraines et immobiles, ont été soudain gorgées, elles s’étouffent, se noient, se rétractent, s’alourdissent et s’affaissent : l’air qu’elles emprisonnent, chassé, sort d’elles en des surgissements féroces de vent et de boue liquide ; par pans entiers vastes comme des horizons, nos digues se sont effondrées sur elles-mêmes, nos barrages éclatés ont été dissous et dispersés par des puissances sans frein. Nos tours ont été brisées ; nos sols, bitumes ou bétons, parterres d’aciers, ont été froissés, effeuillés, émiettés. Et nous savons qu’a déjà commencé, au fond des eaux, la longue patience de la fermentation de nouvelles assises... Les poissons ont été parmi les premiers à souffrir de la furie de terre et d’eau : emportés, asphyxiés incapable de trouver encore leur souffle dans une eau trop lourde. Enveloppés de lourdeurs humides, noyés en pleins vols, les oiseaux, épuisés sont depuis longtemps tombés. Et tous ces animaux qui rêvent leur vie entre la terre et l’eau, amphibies, petits batraciens, oiseaux plongeurs, insectes des marais, araignées d’eau, dont nous pensions qu’ils offriraient quelque résistance, ont été tourmentés, ballottés, envahis, roulés de vague en vague, avalés. Dés les premiers moments de l’invasion liquide, tous ceux qui rongent, fouillent, courent, bondissent, liés à la terre, surpris dans leurs jeux, leurs ébats ou leurs guerres, incapables de se trouver le moindre refuge, ont tenté d’abord de maigres oppositions, s’arc-boutant les uns sur les autres, prenant appui sur des rochers, grimpant le long des murailles, des arbres, des herbes, dressées comme autant de défis à l’ascension des eaux ; ils s’étageaient, couche vivante sur couche vivante, pyramides grouillantes abattues aussitôt qu’élevées, frissonnant colifichets, ils étaient emportés, raides, hurlant d’impuissance, de rage et de peur, tout en tentant en somme d’éphéméres et vaines constructions. Les pauvres restes des êtres et des choses tourbillonnent et s’éparpillent. Nous vivons désormais dans un monde unifié.
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  AOI
©Editions de l'Amourier, tous droits réservés

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