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RAPHAEL MONTICELLI

LIVRE 1 : INTRUSIONS, Bribe XXIX


approche d’une autobiographie (deuxième tentative)
Toute son enfance avait été une longue et heureuse inconscience, du moins désignait-il comme son enfance tout ce long temps de sa vie où il était demeuré inconscient même que l’on pût se trouver heureux ou malheureux... Quand il avait découvert la musique, il lui avait semblé que la montée musicale de l’opéra et les effets qu’elle produit offraient une image bien proche des sentiments qui ensevelissent l’enfance : il vivait les récitatifs, ces sorties hors du bain sonore, ces suspensions dans la vie en acte, cette distance qui permet de commenter et de se voir être, comme le rappel de ces moments où il s’était rendu compte de sa propre existence, et la déchirure du final où l’on demeure encore un instant -presque hébété- assis à savourer les derniers échos du bonheur, tout en sachant que là se termine l’éternité, comme la découverte de l’existence d’autrui, comme si l’opéra, dans la confusion mélodieuse de ses caquetages et de ses harmonies, avait été la mise en forme musicale des échos du monde tels qu’ils doivent parvenir à travers les marées de placenta, jusqu’au foetus vibrant de toutes les vibrations du monde, à la fin de quoi il faut, à travers l’étroit pertuis aller s’adonner à la distinction du monde.... Et il se disait encore que tous ces échos qui, aux plus imprévisibles moments, nous saisissent, persistant longtemps après l’audition, figurent l’enfance toujours présente en nous. Ou encore, rêvait-il, l’enfance est phrase de poème riche en possibles, ponctuée par la conscience d’être un qui peu à peu se sait plusieurs ; ainsi lorsque, longtemps après la lecture, l’impression subsiste et se multiplie encore, créant d’écho en écho son épaisseur propre, et comme une image condensée de son propre éparpillement.
L’enfant qu’il avait été avait vécu dans un monde uniforme : le temps n’y avait aucune prise, tout s’y réduisait, il ressemblait à tout et tout s’y rassemblait. Il cessa d’être enfant quand il connut la mort : celui qui mourait emportait un morceau de sa propre vie ; ce n’est pas tant le passé qu’il regrettait (la mort ne lui avait, immédiatement, donné aucun relief particulier) mais tous les futurs possibles, au moins l’une de ses vies possibles ; il était, et avait été multitudes et il continuerait à l’être, à une exception près ; il était amèrement satisfait à l’idée que ceux qu’il était ne pouvaient disparaître sans lui...

  AOI

 

©Editions de l'Amourier, tous droits réservés

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