THIERRY RENARD
à la mémoire de Christian Bobin
« J’ai mis ma main dans la main de la Mort
Mais je la tiens autant qu’elle me tient
Et ses doigts d’os craquent entre les miens
Quand je m’endors m’endors m’endors m’endors »
Louis Aragon, Les Adieux
J’ai perdu un ami
qui lisait dans les yeux des enfants
et qui était aussi l’ami des oiseaux
des arbres des brins d’herbe
des feuilles d’automne
des cailloux des chemins
J’ai perdu un ami solitaire marchant
au milieu des forêts au bord des rivières
un ami pour qui le temps semblait
le plus souvent suspendu
un ami qui évidemment se tenait
à l’écart des bruits du monde
des passants un peu trop pressés
et des esprits malveillants
J’ai perdu un ami qui aimait autant
les petites choses de la vie ordinaire
que les livres des bibliothèques
J’ai perdu un ami qui prétendait
ne rien désirer ne rien savoir
mais qui pourtant connaissait
bien mieux que quiconque
la longue chevelure des femmes
et la couleur changeante des saisons
J’ai perdu un ami qui dansait sur l’eau
qui chantait en silence le soir à la veillée
parmi de vieilles ombres et des fantômes
qui disait les choses sans les dire
et dont les paroles les plus hautes
étaient plus légères qu’une plume
un ami de la pluie du soleil et du vent
J’ai perdu un ami qui avait appris
à lire dans le cœur des mortels
et dont pourtant chacun des mots
d’un coup de baguette magique
pouvait rendre toute chose immortelle
un ami encore dont le rire était contagieux
J’ai perdu un ami qui me reconnaîtra.
Saint-Julien-M.-M., le samedi 26 novembre 2022 ;
Vénissieux, le lendemain