RAPHAËL MONTICELLI
Voici un texte de 2004. Préface d’une exposition collective organisée par l’association niçoise stArt, il comporte deux parties. La première, Avant-œuvre, donne les circonstances de sa rédaction. La seconde Musica Maestro ! appartient au genre littéraire du centon.
Comment ne pas être fasciné par la question de ce qui s’est passé « avant » ? C’est peut-être là que se forge tout à la fois la conscience historique et la conscience critique : qu’est-ce qui m’a précédé ? Qu’est-ce qui nous a précédés ? Qu’est-ce qui a précédé l’état actuel que je vois de cette situation, de cet objet ? Et la question est d’autant plus fascinante qu’en semble perdue la mémoire. Ou la conscience.
Bien entendu, la question de ce qui viendra « après » ne manque pas non plus d’intérêt...Elle est peut-être plus troublante, à coup sûr moins saisissable, et, finalement, moins immédiatement utile, sauf à être saisie par le « projet » de comprendre/transformer le « maintenant »
Face aux oeuvres de l’art, la question de ce qui s’est passé « avant » revêt pour le spectateur toutes sortes d’aspects : l’avant concerne l’oeuvre ; mais il le concerne aussi lui : c’est son propre « avant » qu’il questionne. Dans les deux cas, les pistes sont multiples : toute une série de questions peut s’attacher à savoir ce qui a fait que sont réunis dans un même espace un objet et un spectateur. J’ai ainsi souvenir d’un groupe de personnes qui, grâce à la complicité bienveillante de directeur du château de Villeneuve, à Vence, s’était retrouvé face à la caisse qui avait transporté un Malévitch.... Avant que l’œuvre ne soit vue, dans ce lieu particulier, il y avait eu un travail social considérable qui n’apparaissait point tant dans la caisse elle même que dans les étiquettes, tampons, indications qui l’ornaient dans toutes les langues. Avant d’être là, installée à Vence, l’oeuvre avait circulé, était passée, et combien ! de main en main, de regard en regard. Tout un pan de l’histoire de l’art s’intéresse à ces questions qui nous apprennent beaucoup sur les oeuvres, sur leur conservation et leur diffusion, comme sur l’histoire et la géographie du goût. Et avant d’être devant l’oeuvre, où était le regardeur ? Par quels chemins est-il passé pour se retrouver là ? Quelles pistes a-t-il suivies, quelles balises, quels indices a-t-il déchiffrés ? Toute une partie de la sociologie a développé des approches de ces questions.
D’autres questions portent sur la recherche de ce qui vient avant l’oeuvre achevée, en faisant abstraction de ce qui s’est passé entre la fin du travail de l’artiste et la mise au regard du public. C’est tout un monde de questions qui s’ouvre à la recherche comme à l’imaginaire . Avant l’oeuvre ? On peut parler de la commande, de l’injonction, faite par un tiers, ou par l’artiste lui-même. On peut rechercher les cahiers de charges, plus ou moins explicitées. On peut explorer les ateliers, les outils, les matières, les matériaux, les savoirs, les tours de main, les postures, les attitudes, les gestes. On peut supposer les idées, les rêves, l’état d’esprit, les cheminements de toutes sortes. On peut se figurer les conditions matérielles dans lesquelles se trouvait l’artiste, on peut reconstruire son rapport aux autres, les bruits du dehors, la solidité du vent et du soleil, la qualité de la poussière, la musicalité de l’air... J’ai souvenir de ces élèves de classe de maternelle qui visitaient une exposition à la Villa Arson... Face à un Hartung, j’avais demandé aux enfants de reproduire la façon dont le peintre avait dû bouger pour faire son tableau... Dans une sorte de chorégraphie spontanée, entraînés les uns par les autres, ils se sont mis à tourner sur eux-mêmes... et à tomber.