PATRICK QUILLIER
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Il faut dès lors démentir la légende :
Sur le bouclier qu’Héphaïstos forge
Ce n’est pas ce qu’Homère en a décrit
Qui est représenté, car il ne dit
Que la vision, myope et intéressée,
De la mère d’Achille. En vérité,
Le bouclier figure un grand désert
Sous un soleil de plomb, et dans ce vide
Un millions d’yeux sans expression et un
Million de bottes en lignes, figés,
Attendent le signal. Une voix sans
Visage énonce sèchement à coup
De chiffres la justice de la cause.
Et puis des barbelés et trois poteaux :
L’on amène trois pâles créatures
Que l’on attache à ces funestes pieux.
Pendant ce temps Thétis croit distinguer
Des athlètes en train de s’exercer,
Des femmes et des hommes à la danse
Faisant mouvoir leurs membres gracieux
Au rythme vif ou lent d’une musique...
Au lieu de quoi, sur le brillant métal,
(Icare dans sa chute n’est pas vu
Du bateau imposant qui suit sa route
Et le laboureur n’entend pas le choc
Ni le cri, ou s’il entend, il s’en moque.)
Un garçonnet, désœuvré, solitaire,
L’arme à la main, parcourt, tout en haillons,
Le sinistre champ rempli d’herbes folles.
Dans sa tête, des filles que l’on viole
En groupe, et des garçons qu’en groupe l’on
Poignarde allègrement. Il n’a jamais
Entendu parler dans sa courte vie
D’un monde où les promesses sont tenues,
Où l’on peut bien pleurer quand l’autre pleure.
Puis Héphaïstos s’éloigne en boitant.
Et Thétis approche du bouclier
Son visage éclatant : elle voit tout
Et pousse soudain des cris de détresse
Devant ce que le dieu vient de forger
Pour plaire à son fils, le robuste Achille
Au cœur de bronze, tueur d’hommes s’il
En fut, qui ne va pas vivre longtemps.
(Tout cela est cruel, mais c’est ainsi :
La légende doit être démentie.)