MARTIN MIGUEL
Une performance de Bruno Mendonça
Lors de l’intervention de Raphaël Monticelli à la bibliothèque patrimoniale de Nice, en novembre, j’ai rappelé ma participation à Peau sous plomb, en 2010, à la galerie Depardieu (Nice). En voici le contenu...
Une précision : l’armure en plomb de Bruno pesait 80 kg.
Bruno Mendonça avait son atelier juste à côté du mien dans la halle Spada de Nice. Nous nous rendions visite de temps en temps. Un jour, il me demande par téléphone, si j’accepterais de l’assister pour sa prochaine performance. Je lui réponds que oui, bien sûr, et qu’il faudrait que l’on se rencontre pour savoir plus précisément ce qu’il attend de moi. Il me donne rendez-vous dans le bar, place Garibaldi où il joue habituellement aux échecs. Là, autour d’un café, il me montre un morceau de plaque de plomb et me dit qu’il souhaiterait avoir le corps enveloppé de ce plomb. Je lui répond qu’il faudrait une grande quantité de cette plaque de plomb et me répond « pas de souci, j’en ai récupéré pas mal sur le chantier d’une maison dont on refait le toit ».
La première question qui se pose est comment ? La solution vient vite : il faudra deux patrons comme dans la confection, un derrière et un devant et je propose d’assembler les deux par sertissage, c’est-à-dire joindre bout à bout les plaques puis les replier sur elles-mêmes. Je lui dis qu’il faudra prévoir les outils adéquats pour réaliser cela, c’est-à-dire : cisaille ou gros ciseaux (la plaque fait environ 2mm d’épaisseur), marteau et pince. Voilà, rien de plus, je découvrirai l’ensemble de la performance le jour de l’action.
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Le jour de l’action, Bruno est arrivé en baskets, salopette blanche de peintre en bâtiment sur le corps, bonnet et lunettes de natation sur la tête sans doute pour symboliser que ce qui allait se passer serait une performance sportive et culturelle, quelque chose où le corps est en jeu ainsi qu’une pensée spécifique de l’art. Le lieu, la galerie Depardieu, évidemment le signifiait.
Une plaque était étalée sur le sol et Bruno s’y allonge, comme l’homme de Vitruve de Léonard de Vinci mais avec les bras moins relevés. Évaluant la taille qu’il faudra pour assembler les plaques, je commence à tracer à la craie sur le plomb l’image – le signe, la lettre ? - de son corps comme on le fait lors d’un accident de la route (Bruno a eu beaucoup d’accidents avec sa moto). Puis accompagné de Stéphanie Sommerfeld, une stagiaire de la galerie, nous commençons à découper et là, on se rend compte que c’est difficile, c’est une véritable performance physique pour nous aussi ! Et ça fait mal aux mains. La stagiaire a du mal car il faut beaucoup de force et elle finira par abandonner.
La partie de derrière étant réalisée, on passe à la partie de dessus et là encore, il me fallait évaluer les courbes de son corps pour trouver les bonnes mesures. J’ai improvisé.
En poussant d’abord avec les mains pour modeler la plaque au corps de Bruno, il me fallait ensuite utiliser un marteau pour plier la plaque contre son corps et sur la plaque du sol. Bruno me disait tout bas « doucement, doucement, cela lui faisait mal ». J’étais en sueur, des gouttes coulaient de mon menton et lorsque je passais au dessus du visage de Bruno il lui en tombait parfois dans les yeux et il me le faisait remarquer pour que je fasse attention car ça devait un peu les lui piquer. Le sertissage des deux plaques a été difficile aussi. Il fallait plier avec une pince les deux plaques, donc 4 mm, et les aplatir au marteau.
Lorsque l’opération de recouvrement (Peau sous plomb) a été terminée, Bruno m’a demandé de le relever. On s’y est mis à trois ! Une fois debout, il fallait maintenir le chevalier prêt à l’action pour qu’ill ne tombe pas. J’ai découvert qu’il était prévu que Christian Depardieu lui donne une feuille de papier et un micro. Bruno a lu le texte qui y était inscrit. Je ne me rappelle plus du tout la teneur de ce texte mais il faut remarquer que Bruno a toujours un rapport au texte dans la majorité de ses activités artistiques, il faut remarquer aussi que le plomb est en partie la matière utilisée pour produire les caractères de la typographie, alors, une fondue en carapace de lettres ? Puis Depardieu a amené un pot de peinture blanche et Bruno a proposé au public de s’en servir. Comme personne ne venait, j’ai ouvert le pot, pris la peinture à pleine main jusqu’à épuisement du pot et barbouillé le corps de plomb de Bruno. Cela faisait un très bel effet car la plaque de plomb était toute fripée. L’alchimie en faisait un chevalier étincelant.
Voilà, nous avons évidemment, à la fin, sorti Bruno de son sarcophage, nous l’avons déshabillé à coup de cisaille et la dépouille a été conservée comme un trophée.