ALBERTINE BENEDETTO
Pour Bruno
Charlotte, in memoriam
14 août 2021
1-
Lequel de nous
est arraché à l’autre ?
Soudain le fil
se coupe nulle parole
pour recoudre les bords déchirés
je suis celui qui reste
dans l’ombre incertaine de moi-même
retournée sur nos pas
2-
ce matin encore la maison
tenait table ouverte
à la vie ton rire tes chansons
personne n’a vu
l’ombre
s’installer à ta place
fermant la porte
nous avions le cœur léger
3-
nul bâton à présent
pour écarter les flots
tes paupières seules
ont scellé le passage
de l’un à l’autre
nous laissant de l’autre côté
sans voix
dans la gorge une pelote d’épingles
4-
le fracas de ta mort
a-t-il une autre raison
que de refonder
notre alliance avec la vie
fallait-il cet arrachement
pour nous inviter à persister
dans notre être avec
la folle ténacité du brin d’herbe
5-
la conversation s’interrompt
sur le mot pour toujours inouï
le livre se divise et reste ouvert
on reste les bras ballants
coquille dans l’immuable question
qui nous brasse et nous retourne
sans ménagements
à l’heure du chagrin
6-
dans la stupeur du jour d’après
lorsque nous prononçons
ton nom
c’est comme d’une échelle
espérant atteindre par le souffle
une part immatérielle
de toi peut-être restée
dans l’air
7-
ton silence maintenant
n’est plus le creuset bruissant de tes pensées
mais l’évidence tangible
du temps pulvérisé
à l’instant où la vie
colossale t’a subtilisée
nous laissant croire
à ta disparition
8-
et maintenant c’est la lutte terrible
avec l’ange sans répit
qui nous rend au matin
défaits par la nuit
pour retrouver la grâce
des gestes infimes et précieux
renouer avec la parole
et les usages des vivants