THIERRY RENARD
À propos du recueil de Marie-Christine Gordien L’Impossibilité d’aimer (éditions de la Rumeur libre)
Vous, dont l’âme, le cœur, l’esprit, les sens, sont doués d’une impressionnabilité telle, qu’à votre insu vous avez une larme pour toutes les douleurs…
Flora Tristan, Union ouvrière
La poésie n’appartient à personne ou, plutôt si, elle appartient à tout le monde. Il suffit qu’on s’en empare. Et Marie-Christine Gordien s’en est emparée, avec enthousiasme, à un moment, sans doute crucial, de son existence. Depuis ce temps elle poursuit, empruntant d’étroits sentiers, sa belle et violente aventure.
Vous ne choisissez pas la poésie, c’est elle qui finit toujours par vous choisir.
Chimères, révoltes et élans peuplent, autant que les fièvres et les nuages, les univers désormais familiers de Marie-Christine Gordien. Il y a du Rimbaud chez cette femme encore jeune, ses vers et ses phrases en témoignent. Le Rimbaud de la Saison, celui aux cris acérés et aux chants graves. Ses visions sont vastes et humaines, et elles dépassent le strict cadre des lois de la littérature convenue, formelle ou simplement engagée. C’est en cela que je dis qu’il y a du Rimbaud chez elle. Elle ne se soucie pas des conventions. Sa parole est libre et habitée, lucide, et quelquefois désabusée.
Marie-Christine Gordien vient du monde de l’éducation populaire (qu’il faudrait mieux défendre, voire promouvoir). Elle connaît la réalité dans ses grandes largeurs. Métisse, au sens le plus poétique et le plus absolu du terme, Afrique, Antilles, Ardèche, mais aussi, permettez-moi, pourquoi pas, Amour ou Anarchie, elle participe aux mouvements, inédits, de la mondialité (concept cher à Patrick Chamoiseau) qui s’opposent, presque tout naturellement, au cours puissant du fleuve de la mondialisation.
Les exilés et les exclus, pour lesquels elle se mobilise volontiers, traversent son horizon d’un pas plus léger ; les signaux qu’elle leur envoie sont des étoiles dans la nuit. Et elle leur redonne le goût du passage du temps. Elle mêle avec brio, dans ses recueils, tous parus à l’enseigne des éditions La rumeur libre, poésie savante et langage populaire.
Parmi ses quelques ouvrages, donc, aux titres significatifs, Pollens, Chayotte, Love songs, Moon Walker, c’est La Monnaie des songes qui a été choisie pour la reprise en poche de ses œuvres, dans la collection aujourd’hui dirigée par l’écrivain Alain Mabanckou, Points Poésie, au Seuil.
Une bonne nouvelle pour les amateurs de poésie et pour les lecteurs, déjà acquis ou à venir, de Marie-Christine Gordien. Désormais, ce sont trois cent cinquante pages qui sont données à lire d’un bloc pour moins de dix euros. Mais Marie-Christine, autorisez-moi cette proximité, n’a pas terminé son parcours forcément initiatique, puisqu’elle vient aussi de faire paraître, en mars 2021, aux éditions La rumeur libre, toujours, son dernier recueil où elle nous enseigne, avec ses mots à elle, L’Impossibilité d’aimer.
L’amour ne porterait plus de nom connu / ou / phares dans la nuit, / yeux de lynx, / bouche cousue...
Marie-Christine Gordien, née à Valence, a posé un temps ses valises à Lyon avant de s’établir durablement à Nîmes, où elle anime régulièrement des ateliers d’écriture et où elle participe à des lectures publiques. Sa passion pour le jazz se laisse entendre à travers le voile discret de sa langue poétique et rythmique. Elle dépeint l’injustice et les inégalités ainsi que les blessures fauves de la vie. Son poème s’invite à la table des convives ou s’invente, encore, selon le tempo de la marche. Les battements de son cœur rappellent les pulsations du langage.
Il faut absolument lire et relire les livres de Marie-Christine Gordien, sans quoi l’espérance d’une « autre » parole poétique, dans un ciel plus dégagé, resterait sans grande portée.
Thierry Renard
« Agitateur poétique »
Directeur artistique de l’Espace Pandora
Responsable littéraire aux éditions La rumeur libre
Saint-Julien-Molin-Molette, le dimanche 2 mai 2021