PATRICK JOQUEL
Vallée de la Vésubie
Je foule cet ancien fond marin que le plissement alpin a levé comme on brosse à grandes arabesques d’encre un paysage improbable. Pics. Falaises. Crêtes.
Ici et là comme autant de clins d’œil l’érosion tire de leurs longs sommeils de pierre quelques coquilles intactes. Aucun enfant ne les a jamais portées à son oreille. Les bruits de cette mer demeurent figés dans notre imaginaire et tandis que mes pas me portent d’un versant à l’autre de la crête je ne sens rien de ces forces souterraines.
Seul un fragment éboulé du sentier me rappelle que ce langage de pierre est lui aussi éphémère et je prends brusquement conscience que mon passage aussi bref et léger soit-il modifie imperceptiblement les équilibres… Le caillou qui se dérobe sous le pied tire la cheville et son déplacement ouvre un nouveau chemin d’érosion…
Sur le sommet, immobile et silencieux je deviens pierre… un petit oiseau dont je ne sais pas le nom vient picorer les miettes du repas. Complicité du vivant.
La montagne est déserte. Seuls les crottins pâturent. Trois moutons oubliés s’étonnent d’avoir réussi à passer l’hiver près de la bergerie encore en hibernation. Les loups ne sont pas venus.
Je descends. 1200m de dénivelé. Le temps de quitter la pierre et de retrouver la forêt, de funambuler la falaise que des pins dérisoires semblent retenir de leur étreinte verticale. Plus tard lorsqu’il faudra reprendre de l’altitude et boucler le tour les cuisses paieront de crampes cette descente.
Le sentier bien pavé est une ancienne route à mulets. Un régal pour le pas. Je pense à ceux qui marchaient là pour leur survie… De loin en loin des maisons comme autant d’étapes possibles témoignent de leur acharnement à vivre ici. Rivés à la montagne.