RAPHAËL MONTICELLI
J’ai retrouvé ce texte de 1987 en classant mes archives numériques. Je me souvenais très bien qu’il concernait le travail de Luc Warneck. Il y avait eu une première version qui a disparu. Quant à celle-ci, je ne savais plus du tout à quoi elle avait servi.
Renseignement pris auprès de Luc : ce texte figure dans le catalogue de l’exposition de Kai Masayuki et Luc Warneck au centre culturel de la paix, à Hiroshima en 1987.
Luc Warneck avait développé une série en se servant de chaises brisées qu’il réparait de toutes sortes de façons, la plus étonnante à mes yeux étant d’installer la chaise en terre et de faire pousser un arbuste sur la partie à réparer.
Cette alliance du débris usiné et du naturel qui le panse ou le soigne m’avait beaucoup frappé, et je la trouvais particulièrement adaptée à une exposition sur le site d’Hiroshima.
Tout le temps est là
Sièges où trônent les siècles ils s’y font de nos rêves de corps quand nous projetons nos images d’assis sur la matière vivante nous la plions alors à notre image et à tous les rêves que nos images portent trainent accueillent drainent accrochent
Sièges défaits de nos corps jusqu’à la mort jusqu’à l’éclatement désarticulés gisants dérisoires figures de corps disloqués au bas de quelque décharge machines usées ridiculement lascives chargées de fausses promesses faux espoirs abandonnées délaissées sur un trottoir incertaines trônes pourtant que rien ne peut déchoir portant des temps plus lourds fiers de tous les corps vautrés affalés perdus
Tout le temps est là
Sièges où dialoguent les temps hommes oeuvrant pour leur donner forme scie serpe rabot mèche rape trusquin varlope herminette ciseau maillet villebrequin guillaume objets de patience et de calme (tout le temps est là) est-elle fortuite la rencontre entre un pied tourné et un dossier à la lyre un barreau de ce siècle et un montant de l’autre conjugaison aléatoire des douze pièces de la chaise année de bois que le temps éparpille et que rassemble l’art
Patience encore
Tout le temps est là
dans la violence (lente -mais violence-) des nécessités végétales et minérales - herbes feuilles ronces assauts saisonniers de la terre écumes prurits larves vers grouillements vie silencieuse secrète inexorablement renaissante et sans cesse présente de toutes parts poussant ou comme immobile dansant caressant l’air à l’entour l’embrassant l’enserrant l’encerclant et durcissant en cercle embrassade caresse danse arbres sans cesse ils brassent leurs ramures ils n’occupent pas l’espace ils le créent
Sièges où s’unissent les temps des hommes leurs rêves et celui de la terre
Patience encore
Terre -pierres en elles-mêmes envolées- lentes- squelette de l’eau qui du dedans pousse les herbes les feuilles les ronces les arbres et nous-mêmes constructions d’eau qui portons nos roches en dedans suc ralenti de l’arbre tout le temps est là qui s’y terre
Patience :
saisir le temps ce n’est pas le savoir c’est l’apprendre
non le chercher- le construire