Christophe Forgeot
(Sauver la vie est paru dans l’Anthologie Sauvons les migrants, dédiée aux équipages de l’Aquarius et d’Ocean Viking, en mai 2020 et dont 60 % des ventes reviennent à SOS MEDITERRANEE.
Ce texte a également fait l’objet d’un film d’une dizaine de minutes, visible sur YouTube en cliquant sur https://www.youtube.com/watch?v=M6u... )
Sauver la vie
C’est ne plus accepter la main tendue dans le vide
Les doigts écartés dans la vacuité du ciel
D’une humanité oublieuse
Sauver la vie
C’est ne plus croire à la montagne sans le soleil glissant dans sa nuque
C’est ne plus s’accommoder de la vague sans sa mousse crépitante
C’est en pleine conscience
Ne plus tolérer la parole sans ses nappes fraternelles
Les champs d’ignames sans la pluie des poignées de main
Le partage sans le forage des sourires
Sauver la vie
C’est ne plus supporter le pissenlit sans la bouche de l’enfant qui le disperse
D’un seul souffle dans l’univers
Sauver la vie
C’est ne pas baisser les bras devant la finitude mutilée
C’est ne pas baisser les yeux devant la fatalité poisseuse
Devant le canot qui crève
Devant l’âme engloutie des chants premiers
C’est ne pas baisser la pensée devant l’étendard de la détresse
La bannière de la misère
C’est ne pas baisser le poème face à l’impuissance
Reculer devant l’oriflamme de l’adversité
Sauver la vie
C’est ne pas renoncer devant ce qui nous dérange
Devant l’épicentre de l’existence
C’est ne pas fuir devant le tir groupé de l’évidence
Devant la bête noire de celui qui hurle
L’épouvante de la dernière heure
Sauver la vie
C’est ne plus confondre le rire de la faucheuse avec celui de l’enfance
C’est ne plus équarrir la plénitude
Disséquer le colibri
C’est ne plus dépecer la cohésion du monde
Ne plus séparer les lois de la bienveillance
Ni la faim de l’appétit
Sauver la vie
C’est ne plus déchirer la muqueuse du projet
Ni écraser la coque du désir
C’est ne plus arracher les pattes du cœur
Sauver la vie
C’est ne jamais consentir au redoublement des fautes
À l’abandon des utopies
Ni au démembrement des rêves
Sauver la vie
C’est poser l’éléphant et le gorille au-delà des barreaux
C’est retirer l’écharde de la peur
C’est démolir la peste des idées
C’est aspirer la poussière des croyances
Sauver la vie
C’est migrer vers un autre pan de son être
C’est partir vers un ailleurs plus proche de soi
Découvrir un archipel caché derrière les brouillards intimes
Parcourir la parcelle de notre démesure
Sauver la vie c’est entrelacer nos différences
Et se baigner dans l’eau de ce qui nous est commun
Sauver la vie
C’est prendre tous les risques
Pour préserver la tige de la sollicitude
Sauver la vie
C’est décliner l’invitation au bal fatal
Et s’inviter à la farandole du possible