MICHEL BUTOR
En octobre 1984 le centre d’art contemporain de Bruxelles initiait une série d’expositions sous le titre « Signes et écritures ». Parmi les artistes, Pierrette Bloch qui m’avait demandé de rédiger une présentation de son travail. On la trouvera dans ces Bribes en ligne.
Je n’ai jamais eu le catalogue de cette exposition.
Ces jours ci, un ami belge, Philippe Marchal, me dit qu’il vient de lire (ou relire) ce catalogue, qu’il y avait trouvé mon texte, et, la préface de Michel Butor...
Je ne savais pas non plus que Butor avait fait la préface générale du catalogue.
Philippe Marchal m’a scanné le texte de Butor... Le voici.
pour Georges Raillard
Lorsqu’un écrivain - et nous sommes tous ici quelque peu des écrivains - se trouve en présence d’un tableau, il a naturellement envie d’en parlerd’en écrire, Certaines œuvres à vrai dire vont provoquer une impression, un saisissement tels qu’elles vont nous laisser muets, mais cela ne fait que souligner la propension normale du regardeur au discours. Sortant de telle exposition nous pouvons déclarer : « c’est si beau que je n’en puis rien dire », c’est la nostalgie de l’inaccessible commentaire entrevu qui nous a fait l’esquisser ainsi.
La première relation entre la peinture et l’écriture, c’est la critique, discours lacunaire multiforme. Chez un Diderot par exemple, il s’agit de retrouver le texte qui est à l’origine du tableau, où pourrait, ou devrait l’être, non seulement déceler ce texte antérieur mais l’améliorer, le transformer, l’inventer. ll est ainsi parfaitement normal d’écrire de la critique sur la peinture puisque celle-ci se révèle si souvent être de la critique sur un texte. Ce que l’on appelait peinture d’Histoire se donnait comme l’illustration magnifiée ou le commentaire d’un moment pris dans un ouvrage historique ou mythologique. C’était donc une « citation » comme en justice, le texte témoin étant convoqué sous les feux interrogateurs du tableau. Une citation ou un montage de citations. Le critique d’art examinait le découpage à l’intérieur du déroulement narratif : était-ce bien ce moment, ce passage qu’il aurait fallu retenir ? Tel autre n’aurait-il pas rendu le reste délaissé plus saisissable, donc l’ensemble plus saisissant ? Souvent Diderot lit ainsi le tableau qu’il considère, souvent le refait, le remplace par un tableau imaginaire qu’il nous décrit, invitant un peintre futur, inutile à l’extrême limite.
Dans le Salon de 1763 par exemple, voyant un paysage du jeune Loutherbourg, il l’interprète comme pause à l’intérieur d’une promenade qu’il imagine en compagnie :
« Ah ! Mon ami, que la nature est belle dans ce petit canton ! Arrêtons-nous y ; la chaleur du jour commence à se faire sentir, couchons-nous le long de ces animaux. Tandis que nous admirerons l’ouvrage du Créateur, la conversation de ce pâire et de cette paysanne nous amusera : nos oreilles ne dédaigneront pas les sons rustiques de ce bouvier, qui charme le silence de cette solitude et trompe les ennuis de sa condition en jouant de la flûte. Reposons-nous ; vous serez à côté de moi, je serai à vos pieds tranquille et en sûreté, comme ce chien, compagnon assidu de la vie de son maître et garde fidèle de son troupeau ; et lorsque le poids du jour sera tombé nous continuerons notre route, et dans un temps plus éloigné, nous nous rappellerons encore cet endroit enchanté et l’heure délicieuse que nous y avons passée. »
Depuis que cet article a été mis en ligne, je me suis procuré le catalogue... Le 31 décembre 2020. C’était de belles étrennes.