RAPHAËL MONTICELLI
Ce texte a d’abord été publié dans le catalogue de l’exposition rétrospective d’Henri Baviera," Carnet de Bord", au CIAC - Centre International d’Art Contemporain, Château de Carros en 2015. Il est repris dans le recueil "Autres ailleurs", à paraître aux éditions de la Passe du Vent, sous le titre "Traversée 2"
Nous serons toujours ces marcheurs
ces errants
rêvant d’abris
rêvant
de dormir comme loups en tanière
rêvant de retourner au fond des grottes silencieuses
pour y faire grandir nos rêves
touchant le dehors du bout des doigts
caressant dans l’ombre les ombres du dehors
aspirant la lumière
toujours marchant
Peintre
la toile immobile nous met en mouvement
quelque chose
quoi
met le regard en mouvement
et qui la regarde
part
à la poursuite du regard
Nous serons toujours ces marcheurs
vers les horizons plumes
Nous serons toujours ces rêveurs d’improbables
ouvrant du bout des doigts
avec de l’ombre de l’air du sang de l’eau
des brèches de lumière
sur les parois des ombres souterraines
Peintre nous voici chez toi
ce dehors de soleil et pluie
terre et pierres
et fils d’herbes accrochés aux pierres
dans la terre
sous le soleil et la pluie
éclairs de nuit trouées nuages
oiseaux chasseurs
guêpes et abeilles frelons moustiques araignées lombrics
et parmi les fleurs
les graminées les herbes sèches de l’été les neiges noires
plus loin
arbres en hordes ordonnées au flanc des collines
procession de marcheurs le long des crêtes
peuples oiseaux
renards daims sangliers animaux furtifs
et ceux plus secrets
timides
qui se faufilent glissent et se terrent
le grand monde du dehors
un souffle mince agite
des cheveux d’herbe
plus léger que ces murmures
porteurs de mots
Partout des voix
elles tiennent
le discours confus
des mélodies à notes disjointes de feuilles heurtant des feuilles ou sur elles-mêmes dansant
les sifflements
ces voix
courant sous l’eau
allument la mèche des larmes
et
à mots informulés
elles nous disent
Nous sommes ces marcheurs
Peintre
nous voici chez toi
l’atelier
ce dedans de toi qui s’évade de toi
tu y as tendu
les pièges de la lumière et de l’eau
ordonné les flacons des essences
tamisé les odeurs et les poudres du monde où se condense le monde
les corps dissociés
matières élémentaires
le miel la cendre et le nid des phénix
Dedans
Ton corps
frontière poreuse
le monde
sans cesse s’y engouffre
par portes fenêtre bouche yeux oreilles narines
bruits odeurs chants cris
par myriades
images
Peintre
tu es le lieu de l’ouvrage
attentif aux gouttes de lumière
elles font un grand remue-ménage en toi
attentif à la moindre aspérité des peaux
sur lesquelles la lumière du dehors
et la lumière du dedans
font des jeux d’ombres colorées
et tes couleurs
ont de ces nuances que l’on croit avoir vues
une fois
peut-être
fugace
jeu du soleil entre deux herbes
entre deux pierres
peut-être
jamais vues
Tu es l’atelier
Là haut
les galaxies de ton cerveau
et les étoiles filant à travers ton corps jusqu’à ta peau
tes membres
elles donnent forme à tes gestes
forme à tes formes
ligne de faille
courbe d’un vol
espace d’un cri
un chant lointain
se pose creuse
l’horizon puits
Plus haut
c’est le lieu des éclosions des naissances
l’horizon s’y désoriente
les lignes s’y dispersent
les arcs s’y effilochent
tu ébrèches le haut du ciel
troues le vide
pour le combler
des soleils désaltérés
ouvrent des sables en fusion
un ciel d’eau désorienté se souvient de la terre
de sa sueur d’archange en proie au doute
parmi des clameurs d’oiseaux
des fouillis de vagues
et l’odeur de l’iode qui passe sur la peau
Là-haut
dedans est un autre dehors
dehors un autre dedans
c’est l’envol du Phénix
le lieu de l’œuvre
Nous serons toujours ces marcheurs
peuple d’errants
poussés par les soifs
la faim
fuyant les haines
rêvant
rêvant
l’horizon apaisé