RAPHAEL MONTICELLI
Un ruissellement
Plein de ciel
de montagnes
de plaines au ventre fécond
d’herbe de fruits
rumine les rognures de bois
mord les lueurs pierres
polit le bronze
martèle l’acier
caresse longuement les langues de métal
sertit de perles de rouille
les rostres de fer
Temps liquide
goutte sur goutte
filet d’eau sur filet d’eau
meule
décharne déforme polit
temps graveur
fleuve temps
sculpteur architecte
torrent
forgeron de forêts
grignoteur d’eau
fondateur de villes
Ce ruissellement
chargé de la musique
des montagnes du ciel
traverse les veines de pierre
halètement
pulsation
Elle dit Venise
Œil lèvres
arme à deux pointes
Et à double tranchant
Proue de gondole mâchée par le temps
un rien de rouille au seuil du sablier
Elle dit Venise
La rouille est un don du temps
la cendre d’un feu lent
que l’eau attise
Elle dit Venise
Le sol s’efface au désespoir de l’eau
Monte un sanglot de terre
l’espace vibre
braise d’eau qu’un souffle déchire
entre l’entêtement des salicornes
le parfum cristallin des lavandes de mer
et ce bleu qui tourmente une pastille d’or
L’air salé s’insinue dans l’âme des pierres
Parmi les plaintes du métal meurtri
Elle dit Venise
L’ardeur des clochers lentement s’évapore
Trois nuages
agitent le vent
leur écume
défait et recompose
un ciel feuilleté qui étale ses mues
on devine à peine
le vol des aigrettes
et timide
le cri rauque au loin d’un oiseau étoilé
Aile contre aile
couche sur couche
feuille sur feuille
voiles sur voiles posés
vibrant à peine
D’un frisson de l’air
dans la brume assourdie
Le jour s’efface
Le ciel s’étend
Elle dit Venise
et tout s’éclaire
la lagune fredonne l’enfance des berceuses
les canaux boivent les gouttes de lumière
Aspirent en tremblant des moirages de terre
Et comme au premier jour
Le ciel prend les teintes
des fines lames d’eau martelées de lumière
Elle dit « Venise »
Veines pulsant la soif des hommes
Lagune où s’inverse la langue