ALAIN FREIXE
I
Ecrire comme marcher, disait l’ami de la promenade. Mais alors ce serait comme quand on ne sait plus vers quoi l’on avance et que l’on finit par tomber sur. Rencontrer. Quelque chose qu’on ne reconnaît pas. Tant on est perdu. Quelque chose qui nous blesse.
Un soleil. Ou la nuit.
Marcher. Marcher encore. Marcher malgré la fatigue. Marcher dans la fatigue. Avec dans le coffre, ce retard du cœur. Et devant, juste la nuit qui tombe. Avec, à l’arrière, les brouillards qui filent. Le froid qui hante la pluie. Ses écarts. Jusque dans la neige.
II
En montagne, un corps c’est de la peur qui avance soit parce que le mauvais temps menace, soit parce que le passage s’est fait soudain aérien. C’est elle qui remue ciel et terre. C’est elle qui rend les pas si peu assurés qu’ils se pressent à bâtir un belvédère. Pour monter, encore. Un peu. Et voir venir la nuit. Juste avant, le tas de pierres du noir.
Ensuite, on reste là. En bord de monde. Les yeux ni en haut, ni en bas mais devant. Loin. Dans l’épaisseur du sombre et la ralentie du temps. Pas pour effacer. Juste estomper le fond qui vient imposer comme une douceur à cette cage d’os en émoi. La ramener au bercement. Antérieur à tout ravage.
III
Ce qu’ici l’on voit, c’est moins la vérité que son visage. Celui qui nous regarde et nous renvoie après bien des pas au dehors.
Pas de maison. Pas de lieu où demeurer. Pas de paradis.
Nous sommes vraiment d’un partage orphelin. Voués au jour perdu, c’est ainsi que toujours le dehors rentre, par coup. Par effraction. Avant de se perdre, en glissando sur les nerfs. Et nous jeter sur les routes dans le temps disjoint. Toujours dehors.
Ce qu’ici l’on entend, c’est moins la vérité que son accent. C’est regarder de dos venir la nuit, à l’encontre du vent qui mène on ne sait où ses tisons, augmente démesurément le bruit des blocs noirs et des étoffes sombres qui roulent jusqu’à nous leurs fumées fin de deuil.
Publié aux éditions "L’attentive", avec trois peintures de Bernadette Griot, 19 exemplaires en 2007