PATRICK QUILLIER
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« Il y en a tant, des îles perdues
dans tous les océans de nos galères,
corrodées du sel de tant de misères…
Les sirènes sont des malentendus.
Quant à toi, galérien sauvé du gouffre
profond, grand blessé de toutes les guerres,
escapat del gorg prigond, nafrat de
totas las guèrras, vers toi je m’avance.
Je te conduirai au bordel. Fais-y
ce qu’on y fait. Oublie là la boue de
saumure forte, fanga de fòrta
saumura, la galère sur l’eau morte
quand s’éteint le soleil, quand s’escantís
lo solelh… Moi je reste sur la porte,
ieu demòri sus la pòrta, tenant
pour toi la lampe allumée, lo calelh…
Il faut savoir suivre le fil de la
langue pour à nouveau toucher la terre.
Il s’agit là de chasse à la Chimère.
Et rien ne vaut l’électrochoc pour ça.
Frères humains, regardez-nous cracher
et le sang et le feu dans cette guerre
définitivement perdue, mal de la terre
qui nous fait blancs de deuil et desséchés.
Langue défendue par quelques vieillards
éplorés : « Où sont les neiges d’antan ? »
Incessamment, on nous prend nos enfants.
Nul ne se souvient dans tant de brouillard.
Le vin, verre sur verre, nous réveille.
Mais du travail, jusqu’à l’heure dernière
il y en aura. Telle est la carrière :
cent peines pour une joie en bouteille.
Dins un cort plena de fems cargava
lo carri un dròlle. Me sauvent
d’aquel ostal tod fendasclat de fons
a cima, pudenta de la trima.
Dans une cour envahie de fumier,
un garçon chargeait la charrette. Il me
souvient de la maison toute fendue
de bas en haut, qui empestait la trime.
Brandissiá una femna pelharda,
negra, qualque pairolet. Une femme
en haillons, toute noire, brandissait
quelque vieux chaudron. Misèria ! Misère !
Perqué sonavan las campanas ? Per
qual se quilhan los cloquièrs ? Pourquoi les
cloches sonnaient-elles ? Pour qui se dressent
les clochers ? Clameur d’autan dans les plaines…
La tête est lourde et les yeux sont au bord
des larmes : c’est le vent d’autan qui souffle
secouant les trop grands chênes, mettant
les ronces en charpie et ployant bas
la chevelure des saules-pleureurs.
Alors nos tête lourdes, nos yeux tristes
le grand vent d’autan les a attisés
en les brûlant vifs sans les consoler.
Il ne nous reste plus que vouloir sans
pouvoir, cloches sans horloge qui tintent
sans savoir. Campanas sens relòtge
que clòcan sens saber e sens poder.
Cargui la pèl de bèstia : me vòli
plan vestir. Ai lo fèl sus la lenga
tant lo fetge me dòl. Je mets ma peau
de bête, fiel en bouche, foie penaud.
Sentissi lo porcum. J’ai l’odeur des
cochons. Lo vent negre m’eissuga tres
gotas d’amargum. Le vent noir me sèche
trois gouttes d’amertume sous la mèche.
Nuèch de cadenas e d’estòc, nuit de
chaînes et d’étau, per ne riblar la
lenga d’Òc, pour tasser et visser la
langue d’Oc. Quora tornarà l’alba ?
Quand reviendra l’aube ? Mas cada mot
geta son fuòc : belugas de l’alba !
Quand reviendra l’aube ? Mais chaque mot
jette son feu : étincelles de l’aube !
Alba sens alba. Quand tornarà la
claror, s’acabarà la miá vida.
Aube sans aube. Quand reviendra la
lueur, ma vie alors s’achèvera. »