Ses mains aussi étaient nues. Jusqu’aux poignets. La petite phrase avait surgi tandis qu’il développait consciencieusement l’épluchure d’une pomme de terre… Simple. Cocasse. Tout en épluchant, il s’était dit : « il faut que je la note ». Mais quand il voulut la saisir, elle s’évanouit. « Ah ! voilà de ces petits événements qui m’agacent, m’agacent ». Et l’impression que, comme tojours, c’était son manque d’énergie qui... En même temps, évidemment, il se rassurait avec, évidemment, cette idée que si c’était si important, évidemment, il n’aurait pas oublié cette petite phrase. En même temps, évidemment, il angoissait avec, évidemment, cette idée que s’il avait oublié cette petite phrase c’est qu’évidemment elle devait être vraiment très importante, que ça devait être un de ces ouvroirs… « Voyons voyons, je dois bien pouvoir la retrouver… Ça doit avoir à voir avec les épluchures et les records... je pensais… voyons… l’épluchure la plus longue… et la longueur dépend de l’épaisseur. Bon... Mais aussi, et je n’avais encore jamais pensé à ça, de la largeur. Pourtant ça va de soi aussi… Ça m’a remis en mémoire cette histoire d’oignon, de sa pelure… et de la façon dont les éléments… flash sur les qualités de la pomme de terre, sa densité, sa valeur nutritive, le fait que les cultures occidentales ne la connaissent que depuis très peu de temps, la consomment depuis moins encore. Qu’à l’état naturel (voilà la phrase revient) naturel elle est certainement impropre à la consommation… quoique… mais bon impropre à l’état naturel en quoi elle est “cultivée”, objet de culture (ça vient… ça va...) Que je ne prends de plaisir en épluchant, qu’à ajuster mes gestes sur/à du culturel. Bon… et puis reprise de cette idée que je n’ai rien d’un explorateur, d’un fondateur, que je n’ai pas de moment zéro, que, contrairement à ce que j’ai longtemps cru et me suis souvent dit, je suis un être d’histoire et du plaisir de l’histoire. En quoi, peut-être, je suis urbain dans mon plaisir du jardin… Oui oui, ça tournait bien autour de ça, mon épluchure » Il laissa là la phrase et revint à sa pomme de terre… La question qui lui trottait dans la tête depuis longtemps avait quelque chose à voir avec les mythes shakespeariens, le sujet grec, Homère. Il dit « le lyrisme de l’histoire » ; son problème, en somme, avait été de n’avoir pu, dès l’enfance, faire corps, comme le grand Nevski, avec l’histoire d’un peuple. Dans l’air qui se filigrane flambent les tocsins d’Amsterdam des conquérants sans territoire éclaboussent les devantures L’eau des jardins désenchantés se fait poussière de nuage. AOI