RAPHAËL MONTICELLI
Présentation du travail de Noël Dolla lors de l’exposition "Dolla, Isnard, Viallat", à la Galerie La Bertesca, Gênes/Milan, février 1974. Masnata ed. Gênes.
La toile ou, du moins, la construction de quatre toiles cousues ensemble est tout à la fois surface et forme ; la matérialité de cette surface, les limites de cette forme et — dans le cas particulier de Noël Dolla — la construction préalable ne peuvent que jouer un rôle dans l’agencement des éléments plastiques.
Le rôle de la surface et de la forme n’est, bien entendu, pas particulier au travail de N. Dolla ; son originalité réside d’abord dans la construction préalable (sorte d’élargissement de la surface, d’extension des limites) : la composition ne pourra plus se faire en fonction des seules limites, mais de la ligne de force, la couture, que le support présente, et elle se fera différemment selon que chacune des toiles constitutives de l’ensemble sera de format égal aux autres, ou différent, selon que la couture tendra à disparaître, simple fil tendu par la mise sur châssis, ou au contraire à s’affirmer, lèvres de la couture en relief. En somme une telle construction impose un traitement en différence de la couture, élément de construction plastique, et son intégration comme telle à la composition.
Ainsi cette forme initiale est un choix plastique dynamique par les possibilités qu’il ouvre tant dans la composition que dans le traitement de la couleur et le dessin qui nécessairement s’en dégage.
Le traitement de la couleur répond à des exigences dont certaines, extraplastiques, mériteraient un commentaire particulier qui n’a pas sa place ici. Qu’il suffise, pour ce qui nous concerne, de considérer l’importance du cadre-limite sur la disposition des touches et sur le mouvement de la main pour se convaincre de l’influence d’une forme intérieure-dynamique.
En plus de la composition il y a lieu de tenir compte des exigences du matériau employé ; la nature des pigments, des liants, leurs diverses combinaisons possibles, font proprement la multiplicité des résultats plastiques : tel pigment rouge, s’il est travaillé en force, produit un noir ; tel liant transforme plus ou moins la couleur.
Il est à noter que, dans son traitement de la couleur, N. Dolla utilise non le mélange préalable, mais la superposition des pigments comme des liants sur la toile elle-même qui devient ainsi le lieu où la couleur se fabrique.
Mais il faut, à ce point du commentaire, considérer que la construction préalable a rendu nécessaire ce traitement par superposition, par le fait que la forme initiale qu’elle produit doit — pour être dynamique, être traitée en différence jusque dans le dessin auquel elle donne lieu. Un mélange préliminaire des couleurs (pigment-liant) aboutissant à une couleur avant toute application à la toile ne peut produire pour tout dessin que la droite parallèle à la ligne de couture. Si, au contraire, on veut une production plus variée, née, en somme, de la reconstruction et de ce qu’elle impose à la composition plastique il faudra traiter en différence le pigment et le liant, ne fût-ce que pour produire, à la limite entre forme et surface, des diffusions différentes génératrice du dessin ; de même la superposition des pigments et des liants pourra donner lieu à une telle diffusion, à un dessin. D’ailleurs l’importance des couleurs employées est relative ; elles seront visibles, ou pas, dans le dessin en bordure ou dans les modulations de la couleur. L’ordre même dans lequel les opérations se déroulent n’est pas indifférent au résultat obtenu.
Par sa maîtrise de l’outil, ses exigences dans le traitement du matériau, sa rigueur dans la recherche de règles combinatoires aussi simples et aussi productives que possible, N. Dolla développe une activité plastique qui fait naitre ses propres possibilités de transformation. Aussi, loin de se réduire à la forme produite, à la technique en oeuvre, ou au discours qu’il suscite, son travail prend sans cesse pour point de départ ce que le spectateur ou le commentateur ne peuvent que considérer comme un aboutissement.
Raphaël Monticelli,
Nice, décembre 1973