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BRIBES, VOLUME 5, CXXXV


Démodocos... Ça a bien un sens, ce nom, Démo-docos. Peuple d’un côté, poutre de l’autre. Ou "qui ressemble au peuple"... On dit qu’Homère était aveugle. Et on suppose que Démodocos l’était. Je ne saurais vous l’affirmer... Il avançait en aveugle... Mais sait-on jamais avec ces poètes ? Ils se disent aveugles en vous regardant droit dans les yeux, et voyants, quand ils vous montrent ce que vous ne voyez pas... S’il m’a ému ? Bien sûr... Troublé d’entendre ma propre histoire. Trouble d’autant plus lourd en raison de l’écart entre ce que j’entendais et les souvenirs qu’il faisait se lever en moi. "Ah ! Vous avez fait le déplacement aussi ?" - "C’était l’occasion, n’est-ce pas ? Delphes est plus facile d’accès que Jeju ou Baguio" - "Mais pas la porte à côté..." - "Moins de deux heures de vol" - "Et le trajet depuis Athènes..." - "J’ai loué une bagnole, avec des amis - " - "Tu sais ce que c’est ce soir ?" - "Un type... Josué" - Il leur avait dit : "Sous la voix, cherchez le souffle, sous les mots, cherchez le corps"... Et l’équipe avait pris note. "Dis-donc, impressionnant, le cadre" Il leur avait dit : "Et quand vous aurez fait surgir le souffle et le corps, que vous les aurez trouvés sous le convenu des mots des hommes sous les gestes, sous les postures et les mimiques, vous chercherez l’animal. "Dépéchons... Dépéchons-nous" - "T’inquiète ! On a le temps. C’est pas pas c’est pas encore l’heure." “Vous scruterez les visages, vous serez attentifs aux minuscules tressaillements des muscles, aux arabesques des bras, au bavardage des épaules, aux conversations des mains et des doigts". L’équipe savait tout cela, mais elle avait pris note. "Mais... Mais elle est occupée" - "quoi quoi ? Qu’est-ce tu dis ?" - "Elle est occupée" - "Elle est ? Qui ?" Il avait dit "Cherchez dans les postures du corps, le grain de la voix, l’articulation des mots des hommes et des femmes, ce qui les fait frères et sœurs des fauves et des pierres." "Quoi qui ? Pas qui ! C’est notre place qui est occupée, là, re re tu tu vois, re regarde." Il avait dit : "Faites apparaître ce qu’il y a de végétal en eux ; ce qui rend leurs bras frères des branches, et leurs poils semblables aux herbes et aux feuilles"... Qui entend que je me démène que je cherche vainement à faire entendre par delà les cols, les monts, les mots, que je suis là présent, blessé, à terre, mourant ? Ma voix se perd entre les arbres. La terre et les rochers la boivent. Qui racontera cette histoire de qui rendait l’âme souffrant parmi les morts dans la solitude des cimes ? Elle n’est pas du genre, hélas, à figurer dans quelque Légende dorée.

 

©Editions de l'Amourier, tous droits réservés

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