Voici quelques années, j’ai promis d’évoquer pour toi Saint Raphaël. Alors Voici.
Tu dois savoir que de nombreux saints répondent au nom de Raphaël. L’un des plus anciens est originaire de Serbie. Le plus récent vivait dans la lointaine Madagascar. Le plus illustre d’entre eux était, avec Gabriel et Michel, l’un des trois archanges dont nous parlent les Ecritures. Le livre de Tobit nous raconte comment cet envoyé de Dieu s’est manifesté parmi les hommes. Tu as pu y lire comment il a accompagné le jeune Tobias sur le chemin qui conduit de Ninive à Raguès aux temps de la spendeur de la Perse, bien avant la naissance de NSJC. Tu t’es émerveilé d’apprendre comment il le convainquit de prendre pour épouse Sara, qui, sept fois marié, était toujours intacte et pure parce que chacun de ses sept maris avait mystérieusement péri la nuit même des noces. Et tu as loué le Seigneur quand tu as su comment, de retour à Ninive, il permit à Tobit, le père de Tobias de recouvrer la vue qu’il avait perdue après avoir eu les yeux remplis de fientes de moineaux.
Cette histoire t’est familière, aussi t’en raconterai-je une autre.
Il nacquit un jour, à Urbino, dans la famille des Santi, ce qui signifie Saints dans notre langue, un enfant que ses parents nommèrent Raphaël. Alors qu’il n’était pas encore en âge de parler, Raphaël faisait preuve d’une miraculeuse adresse quand il réveillait du doigt sur la buée, sur la neige ou le sable, les figures qui y étaient comme endormies. Fouillant dans les braises mortes, il choisissait des bouts de bois calcinés avec lesquels il animait les murs chaulés. C’était merveille de voir comment tout ce qui pouvait laisser une trace obéissait à sa main. Et lui même sans cesses s’étonnait de ce que sa main apprenait à ses yeux.
Le père de Raphaël, Giovanni Santi, était peintre. Il loua Dieu du don qu’il avait fait à son fils et ouvrit à l’enfant les portes son atelier, lui recommandant simplement de n’y rien déranger et et de ne pas gêner le travail qui s’y faisait.
Raphaël était tout juste âgé de cinq ans quand il accompagna son père à Florence. Giovanni devait traiter une affaire avec l’un de ses amis peintres, Francesco, de la famille des Botticini. Ce Francesco avait un fils, d’une dizaine d’années plus âgé que celui de Giovanni, qui se prénommait aussi Raphaël et qui se destinait à la peinture. Le petit Raphaël ne quitta pas son aîné durant tout le séjour que fit son père. Il le suivait partout, essayait ses outils, le regardait poncer le bois et préparer ses poudres, et le harcelait de toutes les questions qu’il n’avait pu poser dans l’atelier de Giovanni... D’abord amusé par la vivacité de l’enfant, le fils de Francesco fut ébloui quand il vit ce qu’il savait faire avec un fusain ou une sanguine sur le moindre débris de papier ou de bois qu’il trouvait.
Dans l’après-midi du deuxième jour, alors que Francesco et Giovanni étaient en grande conversation, Raphaël Botticini proposa à son jeune ami de lui faire découvrir une église de l’autre côté de fleuve. "Je veux t’y montrer quelque chose qui te plaira, lui dit-il, mon père y a représenté notre Saint Patron".
Dans la pénombre, Raphaël, d’un geste de l’index, montrait Saint Raphaël à Raphaël en chuchotant ; Raphaël considérait le tableau au beau ciel bleu à peine marqué par deux nuages, sur lequel le Saint se détachait entouré de trois personnages ailés. "Tu vois, il tient Tobie par la main", lui murmura Raphaël. Raphaël reconnut Tobie, pieds nus sur le chemin pierreux, vêtu d’une ample robe aux plis artistement disposés ; il admira la façon dont Francesco avait fait tournoyer la pourpre et l’émeraude entre Tobie et ses deux compagnons ailés et comment il en avait vêtu son jeune Saint Patron ; il a le même âge que Raphaël, se dit-il. Il s’intéressa au petit chien blanc qui cheminait à la droite de Tobie et au poisson que Saint Raphaël tenait par sa main gauche. Cela me sera expliqué plus tard, pensa-t-il, et il fut pris par les regards des quatre personnages et la façon dont Tobie considérait Saint Raphaël et dont celui-ci lui répondait des yeux.
Ce n’est que bien plus tard, bien après son retour à Urbino, quand son père lui eut raconté l’histoire que l’on trouve dans les Ecritures que Raphaël comprit son erreur : celui qu’il avait pris pour son Saint patron parce qu’il n’avait pas d’ailes et qu’il avait l’âge de son compagnon n’était pas Raphaël, mais Tobie. Sa vie durant, il devait porter avec lui cette bévue : il avait vu l’ange, mais ne l’avait pas reconnu, et jamais il n’osa le représenter : en lui même il continua à se dire que l’enfant qui tenait le poisson était plus proche de lui que le saint ailé qui lui prenait la main et qu’il devait accepter d’être aveugle aux anges s’il voulait pouvoir représenter la simple beauté des hommes et des femmes.
Je te dirai qu’il vécut ainsi le même mystère que celui qui nous est révélé dans les Ecritures : la cécité physique de Tobit était à l’image de l’aveuglement de tous ceux qui, voyant l’ange, ne le reconnassaient pas pour ce qu’il était. Ni Tobit, ni Anna, sa femme, ni Sara, ni personne en Médie, ni au retour à Ninive, ni Tobias lui-même qui partagea pourtant de longues journées avec Raphaël, ne se doutèrent jamais de qui il était, tant qu’il ne le leur manifesta pas lui-même pour disparaître aussitôt. Même guéri de sa cécité Tobit ne sut pas reconnaître l’ange. Ce n’est que lorsque Raphaël dit à Tobit et à son fils qui il était que les yeux de leur coeur se décillèrent, mais lorsqu’il voulurent le regarder en face, Raphaël avait disparu.