Nous dirons donc Rencontres...
A paraître dans le Basilic (bulletin de l’association des amis de l’Amourier" du mois de décembre 2008.
A propos de trois tirages de tête parus aux éditions de l’Amourier
Il en est qui aiment les livres qui ont vécu : éditions anciennes, ouvrages fatigués, maculés, papier marqué par les lectures, annotés, vieillis... L’impression, peut-être, d’un partage par delà le temps.
Ceux-là savent aussi que tout livre, si neuf soit-il, avant même d’être ouvert, a déjà vécu : il savent y reconnaître les vies croisées, les rencontres qui l’ont permis. Celles de l’auteur, dans ses lectures, avec les autres, le monde, la langue... Celles de l’auteur et de l’éditeur ; de l’éditeur, maître d’oeuvre, et de l’imprimeur, et l’ensemble des métiers qui font connaître le livre.
Tout livre est un concentré de vies.
Ceux-là aiment que l’on apporte à la réalisation d’un livre un soin particulier ; si la richesse d’un papier ou la qualité d’une reliure augmentent leur satisfaction, ils aiment aussi les matières pauvres, les papiers d’emballage, les bois de cagette, les fragments récupérés, pour peu qu’ils y reconnaissent la marque d’une présence au monde, d’une conscience en recherche du monde. Dans le cas des "tirages de tête", des "grands papiersr et de la bibliophilie, leur plaisir s’aiguise de l’écho millénaire que portent avec elles les relations entre le texte et la matière travaillée qui le rend visible et vibrant, vivant : papiers, formats, caractères, encre, mise en page, image(s)... ... Tirages de tête. Livres illustrés. Bibliophilie. Editions originales. Grands Papiers. Princeps. Enluminures. Manuscrits. Rencontres.
Ces livres là sont des multiplicateurs de vie.
Les "Tirages de tête" s’inscrivent dans la tradition des éditions "Princeps", aussi ancienne que l’imprimerie elle-même... Dès le XVe siècle, on dit “Princeps” pour désigner la première édition d’un ouvrage, qualifiée par la suite de "originale", c’est-à-dire "authentique", et donc particulièrement recherchée... Les amateurs étaient alors intéressés par une version "véritable", dont ils étaient sûrs qu’elle n’était pas le fait d’un éditeur... pirate et approximatif.
Avec le temps, les éditions "originales" se sont affirmées, diversifiées, enrichies... Dans les matières et les formats d’abord (nous en avons gardé l’expression "Grands Papiers"), par des interventions de relieurs et d’artistes ensuite, à partir de la fin du XIXe siècle où l’on parle de "livres illustrés". L’ensemble constitue le livre de "bibliophilie" qui s’est élargi, dans le courant du XXe siècle, au "livre d’artiste"... La diversité est telle aujourd’hui, qu’on peine à cerner et définir le phénomène.
Les éditions de l’Amourier s’inscrivent dans cette tradition en proposant, pour certains titres, en nombre très limité, des exemplaires sous emboîtage entoilé, d’un format sensiblement plus important que l’édition courante, dans un grammage plus lourd, associant le texte d’un poète et l’intervention d’un artiste.
Trois "Tirages de tête" viennent de s’ajouter à la vingtaine d’ouvrages de ce type qui figurent au catalogue.
Alain Freixe, Avant la Nuit, 2003, gravure, Marie Alloy
Peintre et graveur, Marie Alloy a fondé en 1993 les éditions "le silence qui roule". Elle y a elle a donné 25 livres d’artiste dans lesquels elle intervient soit par l’estampe soit par l’aquarelle qu’elle marie aux textes de poètes comme Tita Reut, Guillevic, Emmanuel Laugier, Antoine Emaz... Elle dit de sa peinture qu’elle est "lieu de poésie", et qu’elle cherche à rendre "un écho sensible, non une image".
Elle ouvre Avant la Nuit par une gravure qui introduit le lecteur aux paysages d’Alain Freixe : l’encre scande les blancs, les mots, le silence : Avant la Nuit, les éclats.
Bernard Noël, La vie en désordre, 2005, gravure, Henri Baviera
Sur les presses d’Henri Baviera sont nées des estampes d’Arman, César, Miotte ou Hartung... Peintre et graveur, passionné par le livre d’artiste, Baviera est un explorateur et un inventeur : en dépassant et libérant la technique moderne du carborandum, il a réalisé une oeuvre gravée unique marquée par la polychromie et le relief.
Au seuil du livre, sa gravure, toute couleurs et rythme, quelques signes hésitants : rumeur qui annonce La vie en désordre de Bernard Noël.
Yves Ughes, Par les ratures du corps, 2005, oeuvre originale, Gérald Thupinier
Gérald Thupinier est d’abord peintre. Il construit une oeuvre chargée d’histoire, de langage, d’humanité et interroge l’identité, l’art, la langue. Sensibles à cette démarche nourrie des mots et s’en nourrissant, les éditions de l’Amourier lui ont demandé de réagir plastiquement au livre d’Yves Ughes...
Le travail de l’artiste n’illustre pas celui du poète. Il le lit, le dit, comme au delà des mots, ou, avant eux, le pré-dit... La rosace colorée du peintre, une autre Rature du corps du poète...