Conversation préparant une intervention pour la revue Colophon, Belluno, Italie
LA DIFFICILE QUESTION DES LIMITES
Raphaël Monticelli : Délimitons d’abord le champ à propos duquel nous intervenons... Nous y rencontrons les termes de Livre d’art et livres d’artistes, de bibliophilie, de grande, ou haute bibliophilie, d’oeuvres croisées...
Henri Maccheroni : Il y a en ce moment en effet là dessus une grande confusion, on finit parler de choses équivalentes avec des mots différents, et on regroupe sous le même vocable des choses différentes. Il y a là un problème de terminologie de plus en plus évident. référons-nous aux deux trois exposition qui viennent d’avoir lieu autour du livre d’artiste, notamment celle de la Bibliothèque Nationale, qui avait du reste donné lieu à polémiques parce que le champs défini par la commissaire, n’avait pas été du goût de tous.
RM : Nous sommes donc bien d’emblée dans un espace dont la définition pose problème jusqu’au sein de l’institution dont l’organisation même reflète une analyse plus ou moins explicitée des domaine qu’on lui confie.
HM : Oui, Coron, par exemple, qui est chargé des "livres rares" à la Bibliothèque Nationale, définit comme livre rare ce qui est tiré à moins de 200 exemplaires, mais il fait entrer dans la définition tout le domaine de la grande reliure.
CA : Lui même est du reste aussi spécialisé dans le livre illustré moderne.
HM : Même s’il essaie de faire entrer dans son fond ce que nous nommerions "livres d’artistes". Il considère cependant, par exemple, qu’une réalisation comme "In ictu oculi" ou "la vallée des dépossédés", que j’ai réalisés avec Michel Butor, ne font partie ni des livres rares ni des livres d’artistes, mais appartient au domaine des "manuscrits", parce qu’un livre d’artiste suppose un seul maître d’oeuvre, dans ces cas particuliers dont je parle, il y a eu croisement, nous avons travaillé à deux, un artiste, un écrivain.
RM : C’est en somme assez curieux cette simple désignation de “manuscrit” pour des oeuvres où inerviennent un peintre et un écrivain...
HM : Coron a raison. Ce ne sont pas des livres d’artistes.
RM : Même si je l’admettais. Comment en faire de simples “manuscrit” au sens où le manuscrit est exemplaire d’étude et de travail, brouillon, si l’on préfère, texte préparatoire ou préalable, alors que nous sommes dans le cas d’objets achevés, de réalisations artistiques à la recherche d’un public... Çal leur donne sans doute un statut particulier, mais certes pas celui de “manuscrit”, au moins au sens commun, puisqu’ils sont écrits et ornés pour être exposés aux regards.
HM : Oui, tu as raison dans ce sens. Et d’autant plus que ces manuscrits sont réalisés à plusieurs exemplaires... Même si le nombre se limite à quelques unités, ça ne cherche pas seulement le regard, ça cherche aussi le marché.
RM : C’est une oeuvre d’art à deux.
HM : C’est ce que définit très précisément la notion d’oeuvre croisée.