RAPHAËL MONTICELLI
Dessiner les choses banales du monde, passoires, légumes, animaux de basse cour ou la panoplie de nos vêtements : chaussettes, jupettes, pantalons et chaussures, blousons et culottes ; les placer là au creux du papier, les inscrire, s’assurer qu’ils ne nous feront pas défaut, qu’ils ne manqueront pas au paradis de nos images.
Dessiner sur une banale feuille de papier Canson, avec un banal stylo à bille banalement bleu ; dessiner en appuyant bien fort, sans colère ni rage, avec précision et force, jusqu’à marquer le papier, le graver, le repousser à la limite de la déchirure, du percement, ne se préoccuper ni de la dimension du dessin, ni de sa place précise sur la hauteur de la feuille, s’assurer simplement qu’il est bien avalé, là, dans l’épaisseur du papier, ainsi marqué au recto en creux, au verso en relief, qu’il ne puisse en aucune façon s’effacer, disparaître, sauf à voir disparaître avec lui le papier lui même, qu’ainsi il ne manquera pas au catalogue de nos traces.
Présenter aux regards non le recto en creux bleu, mais le verso où le dessin apparaît en boursouflure blanche, ici ou là crevée plus ou moins d’un liseré bleu ou gris, selon que l’encre a fait ou non défaut, ne montrer ainsi, le dessin fini, que ce qu’on n’a pas vu du dessin quand on l’a fait, que ce qui, présenté, joue de la lumière ambiante, la saisit dans des effleurements d’ombre différents selon la position du regardeur.
Affirmer que dans le verso ainsi présenté le dessin du recto tout à la fois apparaît et s’efface, comme le geste de la dessinatrice qui apparaît encore dans cet effacement, comme autour des objets s’effacent les personnages qui leur donnent sens encore, comme, des vêtements, ont disparu ceux qui les ont portés et qui encore leur donnent forme. Affirmer, comme malgré tout, que dans l’effacement même quelque chose subsiste de ce qui s’est effacé, que l’effacement dit, forcément, que quelque chose fut là justement qui persiste dans l’effacement même.
Dessiner, non pas pour imposer ses images du monde, mais pour survivre à son retrait du monde.
Stratégie du fantôme : affirmer que d’effacement en disparition, l’absence est si intolérable qu’elle doit finalement être impossible.