Chaises, tables, verres, tasses, bols, cages, lits, clous, vis, pinces à linge, épingles, scies, éponges, bouchons, nos objets nous prolongent, ils amplifient nos postures, ils appellent, imposent ou désignent nos gestes et nos mouvements, parfois, ils nous refont, nous miment, nous caricaturent ; toujours, ils nous attendent, nous contiennent.
D’eux, comme de nous, qui saura donner les lieux de l’infinie conservation, les conditions crédibles de l’éternité, fût-elle minuscule ? Qui saura leur construire des reliquaires à notre mesure devant lesquels nous pourrons nous recueillir ?
Armand Avril et Alain Roux sont de ces artistes qui cherchent justement cela : nous rendre nos objets au-delà du périssable, et nous donner ainsi à rêver –c’est-à-dire nous apprendre à amadouer notre propre mort dans l’utopique survie des objets ou leurs improbables rédemptions.
Tous deux nous offrent, avec ces désormais reliques, un temps et un espace pour cette méditation qu’elles traînent après elles, et chacun d’eux le fait de façon singulière.
Si Armand Avril présente les objets eux-mêmes dans des compositions complexes ou se perd le regard, Alain Roux les représente par la photographie et focalise le regard sur un objet dérisoirement magnifié ; si, par exemple encore, tous deux nous disent l’étouffement et l’enfouissement, c’est par la multiplication chez Avril, et l’ensevelissement dans le bitume chez Roux ; et quand le rite de survie se fait dans l’explosion des couleurs et des formes chez Armand Avril, il implose, se retourne sur lui-même, bu dans le chatoiement sourd des gris et des noirs chez Alain Roux.
Multipliés au delà de toutes nos capacités à les dénombrer et à nous les représenter dans leur masse, nos objets nous enfouissent et nous étouffent ; toujours nous les savons tout à la fois périssables, voués à la même mort que nous, et étonnamment durables dans la mort même : fantômes flottants des objets dont nous encombrons nos territoires depuis des milliers de millénaires ; restes durcis des choses et des empreintes des choses comme de nous, myriades de petits cadavres qui nous accompagnent fidèles dans la mort comme ils le furent dans la vie.