Je n’hésiterai pas à le dire : la question posée ici me paraît être d’un enjeu considérable.
Pour reprendre une formule que nous employons depuis l’expérimention des années 93-97 sur l’éducation artistique et culturelle, l’objectif est d’alphabétiser culturellement ce pays.
Les relations entre une population et les objets et les démarches de l’art ont en effet la même importance que celle de la première alphabétisation, institutionnalisée en France dans la deuxième moitié du XIXe siècle.
Sans apprentissage de la lecture et de l’écriture, pas de possibilité de vivre dans la société qui se forme au XIXe siècle. Ce n’est pas seulement l’évolution des savoirs, des sciences et des techniques, de la vie quotidienne qui impose que toute la population disposent de l’outil de la lecture et de l’écriture, mais l’évolution des formes de la vie politique : sans l’écriture et la lecture, c’est l’exercice de ses droits et de ses devoirs qui se trouve limité dans les démocraties modernes. Savoir lire et écrire ce n’est pas seulement un objectif de la démocratie, c’en est une condition absolument nécessaire.
Aujourd’hui, alors que les conditions d’existence se sont encore complexifiées dans nos pays, les besoins en outillage sémiotique, symbolique, intellectuel, affectif, sensible, se sont développés. On ne parle plus, ou pratiquement plus, d’analphabétisme, mais on pose le problème de l’illettrisme. Un illettré, ce n’est pas un analphabète ; un illéttré dispose des outils du déchiffrement, mais il a plus ou moins de mal à faire du sens avec les objets qu’il déchiffre.
Que lui manque-t-il ? Il lui manque les outils de la mise en relation, en contexte, il lui manque la maîtrise des ensemble, une capacité à se représenter, à symboliser, à abstraire, à se sortir des graphème pour reconstruire le texte. Il lui manque la maîtrise des espaces symboliques et sensibles que travaille chacun des champs artistiques.
La phase actuelle de l’alphabétisation est bien là : il faut passer de l’appropriation de l’alphabet à celle des espaces symboliques.
Voilà l’enjeu de nos débats. Dans la réception des objets de l’art et de la culture, ce qui est posé ce n’est pas d’abord l’élargissement et la diversification des publics. Ce n’est pas non plus l’accès au luxe culturel pour le plus grand nombre. Ce qui est posé, c’est l’une des conditions nécessaires du développement des individus et de la structuration des groupes sociaux aussi bien pour mieux maîtriser sa vie privée que pour assurer la vie sociale, l’exercice de la démocratie.
Nous allons poser de diverses façon la question de la réception de l’art. Nous allons réflechir à la façon dont il est plus ou moins bien reçu, à la façon dont sont constitués et évoluent les publics, nous allons nous demander à quelles conditions nous pouvons élargir ces publics, améliorer la réception, nous allons nous demander comment former les publics de demain...
Mais n’oublions pas que cela ne se comptabilise pas en nombre de visiteurs de musées et d’espaces d’art ou de collectionneurs, cela se mesure en termes d’épanouissement des individus, de bien-être, et de développement de nos démocraties...
Pour travailler sur ces questions, ce matin, 3 moments...