Douzième salut
Quand il voit s’ouvrir, sous sa nef et sa voile à figure de soc, les lèvres blanchies de la mer, creusées au dessus de leur vieux socle de terre, et incapables de tendre jusqu’au bout leur grand sourire, si tôt refermé qu’il n’en reste vite qu’un vague remous de surface, et qu’il s’en perd jusqu’au moindre souvenir, l’âme du marin s’emplit de toute la douleur de la mer.
Il sait que des myriades de vies l’habitent, fulgurantes, muettes et, pour la plupart, inaccessibles, que ses franges d’écume, ses surfaces bleues et ses profondeurs noires appellent tous les vols d’oiseaux blancs.
Il sait aussi que, si profonds et douloureux soient-ils, rien ne subsiste jamais des sillons qui la creusent ; mais lui garde d’elle de déroutants parfums d’algues, le goût du sel, les traces de ses griffes sur le corps, et son grand souffle froid dans sa vie. Il sait enfin qu’elle avale ce qui la pénètre et qu’elle n’en rend les débris délavés qu’avec une parcimonie amère.
Alors le point le désir de la terre, et son âme aspire aux gestes rassurés du laboureur .