RAPHAËL MONTICELLI
Ce texte a servi de préface à une exposition de 1983.
Charvolen, Maccaferri, Miguel et moi avions monté ça dans la galerie associative Lieu 5, située à Nice, au 5e étage du 5 de la rue Pairolière.
Cette exposition avait été élaborée dans le cadre des « Écritures dans la peinture », organisée par la Villa Arson, alors sous la direction d’Henri Maccheroni et l’accompagnement actif de Michel Butor.
L’exposition centrale se tenait à la Villa Arson et regroupait une centaine d’artistes proposés par une dizaine de critiques.
Henri Maccheroni avait, par ailleurs, proposé à des galeries et lieux d’exposition de participer à cet événement en le prolongeant « hors les murs ». De nombreux espaces d’art avaient répondu à la proposition, dont la galerie Lieu 5.
Effrayante humilité de ces actes indus : écrire, peindre… soumettre son esprit et son corps au support vierge et se plier aux moyens de le transformer de lieu du génie possible en espace de l’humain, du vivant, du mortel, du fini. En quoi prend corps peut-être notre fascination du palimpseste, de la rature, de l’écrit en marge ou en frange, de la surcharge, de la surimpression, des couleurs délavées, des peintures usées, des éclats du bois, des trames retrouvées…
Peut-être après tout faut-il que nos rêves meurent là pour qu’un « je » leur survive… Domatore ! Inscriptions dompteuses de songes ! En quoi ces espaces délavés, bribes, fragments, que le temps, les éléments, les hommes ont malmenés, nous sont doublement sensibles ou se chargent de deux fois plus de rêves, car il sont morts deux fois et, deux fois morts, toujours pourtant en nous suscitent la vie des rêves. Non ! Pas toujours… Encore ! C’est ainsi que se forme l’image première du Phénix : la parole naît une fois, deux fois écriture, trois fois bribes ; et trois fois l’esprit y est mort. Tout texte qui vient après un autre passe à nouveau l’Achéron…
En quoi la voix, le texte, de Sappho, chargés d’ infiniment plus d’ air qu’elle n’avait pensé y mettre, nous sont plus que fascinants : fondateurs.
En quoi la terre –je veux parler de celle que l’on cultive (aussi bien celle du géographe ou du géologue que celle de l’agriculteur–et le voyage est encore image de l’agriculture où le corps entier se fait soc, et les yeux semeurs de plantes vivaces aux ramifications séculaires…) en tout cas au moins la terre de l’agriculture est à la semblance du palimpseste : tout ce travail (perdu ?) dont on la sait chargée ; elle d’année en année, de saison en saison, lieu fixe –jamais vierge et toujours renaissant – réécrit ou toujours accueillant toute réinscription. La rature ne se voit que dans les positions chaque fois nouvelles de carrés de plants différents…
En quoi nos habitats, raturant et rappelant la terre, poussant de nos corps et de nos têtes, chargés de nos voix, de nos gestes auxquels il donnent mesure et dont ils prennent forme, murmurent…
Amarcord…