PATRICK QUILLIER
« Guillaume de Poitiers, le tout premier,
dans sa lamentation d’exil : En grande peur,
en grand péril, je laisserai mon fils
aux rudoiements acerbes des voisins !
Jaufré Rudel, hanté de ses amours
en terre lointaine : Je ne puis être
sûr de rien, si nombreux que sont chemins
et passages ! J’irai où il faudra !
Bertrand de Born envoyant ses missives
baigné des lueurs d’une aube de Terre
sainte, une aube parmi tellement d’autres :
Car je vois à l’Orient grossir l’étoile !
Guiraud de Borneil et Gaucelm Faidit
tous deux sur la terre de Saint-Jean d’Acre.
Pour un baiser pris à la bouche aimée,
Peire Vidal y pleure sa Provence.
Folquet de Marseille, loin des baisers
qu’il n’est jamais parvenu à voler,
se faisant moine et devenant évêque :
Qui ne sait pas prier se doit d’apprendre !
Et quand il fut évêque de Toulouse
un feu s’est répandu sur cette terre,
une croisade contre les Bons Hommes
et contre la dynastie des Raymond.
Sous une haie, pour la chose si douce,
avec la bergère de Marcabrun
nous ne sommes plus : Bel ami, vous et
moi, baisons-nous, dans le pré aux oiseaux.
Arnaud Daniel, le pauvre Arnaud
amasse vent, nage contre marée :
La brise amère dénude les bois.
Je devrais bien m’abstenir de chanter.
Guiraut Riquier, que délaissa la gloire,
nul ne chantant après lui ses chansons :
Si l’on pouvait choisir son temps pour naître !...
Hélas ! je suis venu trop tard à être…
(À Clermont, place de Jaude, je sais
Vercingétorix. Sur le plateau de
Gergovie commença l’Occitanie :
les Franchimands d’alors filaient tout doux.)
Or donc, la langue meurt, et je mourrai
bientôt. La mort dure plus que la vie.
Vercingétorix : étranglé. César :
poignardé. Qu’en sut Vercingétorix ?
Et Sidoine qui cherchait à polir
le latin dans lequel il écrivait,
quand déjà, de la barbarie, la rouille
rongeait le beau métal pur de la langue.
Sidoine le premier Apollinaire,
dans la cité de Vercingétorix,
la bonne ville de Clermont, chantait
dans la langue défunte des vainqueurs.
Mais alors, Auvergne, terre romane,
pourquoi ne gardes-tu pas aujourd’hui
ta véritable langue, l’occitane ?
Et toi, Clermont, que n’es-tu capitale !
Il est dit que jamais personne ne
boira au seau que l’on tire du puits.
Je meurs de soif auprès de la fontaine
chaude comme feu, tremblant dent à dent.
Dans mon pays suis en terre lointaine…
Une fois fui ce monde d’illusions,
un chant s’élève, fier, sur tant de haine :
c’est le chant français de François Villon.
Les Instituts, l’Académie des Jeux
Floraux et le Félibrige se moquent
de tout un peuple. Eh bien, ce gros bâtard
de peuple d’Oc va empoigner le croc !
Pourquoi accepter ces arcs de triomphe
qui sans vergogne célèbrent les guerres
dans les airs, sur la mer et sur la terre,
comme au Peyrou, mâchoire monogomphe ?
On chanterait sans relever la tête
de doux refrains tels des porcs dans leur soue ?
Manquerait-il à Montpellier de poudre
pour faire sauter l’ancienne carrière ?
Pourquoi donc ne faudrait-il qu’étudier
les balbutiements, aux grandes forêts
tropicales, d’êtres lointains, et non
la poésie-mère des troubadours ?
Venez voir la mienne rose, la rose
des troubadours ! La première des fleurs
du soleil couchant à s’ouvrir. Douleur
et sang quand les Français la piétinèrent,
mais fraîcheur dans les livres d’autrefois.
Venez voir la mienne rose, venez
voir la mienne fleur ! Car qui sait si la racine
de la fleur des troubadours, entre les
cailloux noirs ne surgeonnera pas un
jour ?... Alors, elle montera, la sève,
malgré les genêts, les ronces, les houx.
Dans le couchant refleurira la rose ! »