RAPHAËL MONTICELLI
Éditeur : La Diane française, 14, rue Pauliani,
50 exemplaires, édition présentée en feuilles en portfolios entoilés.
format : 33x36 cm.
typo Garamond corps 18, romain et italique, imprimé sur le presses de la Diane française
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Sur le papier les images
étincellent de souvenirs
alimentent la mémoire
On dit migration on dit
Elles sont ces étrangères
que nous côtoyons chaque jour
Elles sont les ambassadrices
messagères du quotidien
nos familières inconnues
Elles parlent du temps qui passe
temps embrumé qui s’efface
dans l’ombre aux multiples regards
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Pour réaliser les estampes de ce volume Max Charvolen a interprété une œuvre de 2019
Se superposent les heures
les jours les semaines les mois
Le temps s’efface s’écrase
Il se resserre en filets minces
temps qui froisse les paupières
et meurtrit les souvenirs
Elles disent aussi l’espace
perdu tremblant mal reconnu
perdu tremblant mal recousu
On tend la main le redessine
clignant des yeux pour conjuguer
l’image rêve sur la page
avec la vie qui l’a donnée
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En 2019, Charvolen a recouvert les toilettes de la maison Sampère au Cannet Rocheville - murs, cloison, sol, dormants - de fragments de toile collés sur le bâti.
Il avance bras tendus
comme on embrasse la nuit
mains en aveugle tâtonnant
Bras mains doigts sondent l’espace
caresses prudentes caresses
de qui piège des souvenirs
À genoux carreleur orant
lavandier fixant les tissus
dans l’eau figée de la mémoire
Nageur brisé que la noyade
menace de rouler aux fonds
il a borné son territoire
à la frontière de ses mains
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En 1993, Max Charvolen présentait ses travaux à la galerie Vivas. Gérard Duchêne, qui n’avait pu être présent, participait par un texte dont quelques échos sont collés ici
Il s’agit alors de la « nature » du peintre inscrit dans un cercueil de lumière qui vient braire à l’intérieur des terres.
Il a découpé la toile
non déchirée découpée
faisant fi de la tessiture
désertant l’entrecroisement
les innombrables croix de fil
Il a vêtu ce territoire
de mille bribes de tissu
collant les morceaux pour panser
ce monde fuyant en souffrance
ce lieu écarté de l’intime
pour en garder trace ou suaire
en refaire toile ou tableau
lambeaux posés par petits pans
pour emmaillotter le monde
Charvolen accepte tous les compromis du berceau
De la toile à la toilette
il n’y a qu’un pas à franchir
De la toilette à la toile
Le chemin n’est jamais fini
On dit tissu ou on dit toile
peu importe finalement
ces mots ont même origine
la même que texte et textile
La langue est intelligente d’elle même
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Pour passer de la toile au papier, l’artiste a repéré cinq zones, cinq images dont il a fait autant de pochoirs.
Le nageur est sorti des vagues
Le voici qui se tient debout
devant un nouvel océan
gros de tumultes inconnus
De la main qui couvre l’espace
découpe colle frotte unifie
à la main qui mesure et compte
le corps est prisonnier du corps
entre empan et dénombrement
dans l’immensité des possibles
c’est l’esprit qui roule et se perd
Que ce soit derrière la haie
qui nous masque les horizons
face aux murs qui nous emprisonnent
à la toile qui s’éparpille
au papier dont les mots s’évadent
c’est l’esprit qui roule et se perd
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Les zones qui n’ont pas été recouvertes dans le travail de 2019 sont repérées par une découpe du papier : cuvette, tuyau d’évacuation derrière la cuvette, grille d’accès, boite de dérivation électrique, dormants de la porte.
zones désertées zones
traverses traversées
absences découpant l’absence
s’y glissent les regards s’y glissent
des en-deçà des au-delà
L’art n’a de valeur qu’en ce qu’il comporte de douloureusement présent dans le présent qui en est la somme. La somme d’une absence de soi pour l’autre
absence de l’autre pour soi
de l’autre pour l’autre
et de soi pour soi
absences
Les pochoirs sont traités en deux couleurs. Rouge pour le mur du fond de la pièce d’eau ; noir pour les deux autres murs intérieurs à la pièce d’eau et sur la continuité des murs à l’extérieur de la salle d’eau.
Migration on dit migration
images en transit images
chargées de mémoire chargées
des formes qui leur donnent forme
Portulans qui gardent la trace
de nos précaires odyssées
Essaim de tissus vers la ruche
Dépouille de corps disparu
où le regard s’ensevelit
Simulacres à notre main
espaces du recueillement
Les cinq pochoirs ont donné lieu à quatre compositions différentes.
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La haie bouche les horizons
une pauvre haie un mur
frêle ferme le regard
mais l’esprit pèlerin voyage
dans des immensités rêvées
silences surhumains espaces
sans limites
À la lisière des vertiges
dans des surgissements furtifs
c’est le lieu des apaisements
la parade aux disparitions
Je ne suis pas présent
dit Gérard Duchêne
Je tiens à y être quand même