RAPHAËL MONTICELLI
/ revue
Saisies de frontières
Tout langage supérieur est traduction du langage inférieur, jusqu’à ce que se développe, dans son ultime clarté le verbe de Dieu qui est l’unité de ce mouvement du langage. W.Benjamin
Frédérique Nalbandian
La voici. Elle a la passion des corps et des fleurs. Elle installe des pièges à visages, des leurres à espaces, des filets pour saisir et apaiser le temps mortifié des villes. De toute chose elle fait un phénix qui renaît de sa liquéfaction, toujours différent de lui-même. Elle murmure : “On devrait laisser toute la laideur du monde s’épuiser de sa propre perte : on finirait par en extraire quelque lumineuse vérité…”
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Amande In
Elle investit l’espace avec des ruses d’animal prudent, marque obstinément son territoire en le remplissant de traces, imperceptibles d’abord. Et comment verriez- vous ces milliers d’hématites, sombres granules, infimes, collées dans la moindre anfractuosité du béton, comme des constituants de sa masse même affleurant en surface. Comment verriez vous ces cheveux l’un à l’autre noués en un mince et unique fil qui sillonne, bien au dessus de votre regard, le plafond de la galerie. Impérieuse présence de ce qui s’efface.
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Anne-Valérie Gasc
Celle-ci conduit dans les images, avec et contre elles, une guerre de position ; on l’imaginerait bien en déesse farouche, déterminée, Marseillaise aux lèvres arrondies sur un “ Allons ” indéfiniment proféré, Liberté guidant, dans les gravats, un peuple en marche parmi les fumées, Walkyrie s’abreuvant, au dessus des champs de bataille, de la longue plainte des vaincus, Athéna casquée appuyée sur son fascinant bouclier et méditant la victoire.
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Valérie Sierra della Casa di Dio
Voici l’amie des rêves et des luttes, la modeste démailleuse de bas ; sous ses doigts, la soie se fait souvenir de la peau qui lui a donné forme et raison, elle nous découvre la diversité des terres dans le chant des mûriers, ou prend cette allure ondoyante qui se dessine, au balbutiement d’une écriture, dans le dénouement d’un simple fil.
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Pierrette Bloch
Faire de l’art avec de l’air... Et quoi de plus aérien que ceci ?
Impact, sur une surface approchée lentement, du rythme imposé
à l’espace par la méditation du temps. Rite nu de l’encre, du pinceau et du papier. Pulsion minime ; trace d’un battement de cil. Ou encore : du bout des doigts boucler, enrouler, nouer, filer, croiser, mailler, mêler aux crins l’air des boucles et des mailles, tricot qui donne à nos yeux un radeau de lumière.
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Gina Pane
Trajectoire. Fil tendu entre l’avant-garde artistique et la mystique franciscaine d’un moyen-âge finissant. Fils noués entre deux quêtes. Celle d’une humanité nouvelle. Plus attentive à la terre : notre pauvre terre ; plus attentive au corps : nos pauvres corps. Plus aspirée par le ciel. Notre pauvre aspiration. Notre pauvre inspiration. Nos pauvres utopies. Et nos insignifiantes souffrances ?
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Aurélie Nemours
Elle est esprit planant au dessus des frontières du ciel. Dans le vide du ciel. Elle est un simple chant disant l’énigme de la vie. Dans le vide de la vie. Elle est la pureté du geste et la pureté du nombre. Dans le vide du nombre. Elle est pensée vibrante d’art et d’ordre. Dans le vide de l’ordre. Elle est la force inattendue du silence de l’art face au silence du vide. Dans le vide du vide. Elle est l’incompréhensible surgissement du sens dans l’inanité que nous sommes. Cet art qui “ consiste à faire quelque chose avec rien”.