MICHEL DIAZ
Ces poèmes font partie de Traverser l’obscur, recueil à paraître en 2024 aux éditions Musimot.
1
pour survivre
on aura tenu son pari
ni stupide ni insensé
s’il nous a permis de franchir
– yeux ouverts sur l’obscur –
l’espace de ce temps qui nous est accordé
dans un arbitraire qui à fouiller
obstinément la part de l’inconnu
et l’immensité à saisir
en fait l’inestimable prix
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2
on avance
ne laissant nulle empreinte
sur un chemin de feuilles
d’odeurs de froissements
marchant sur des mots morts
allant seul nulle part sans feu ni fin
foulant la terre obscure
d’un pas errant parmi les herbes délaissées
les ramas de branches tombées
dans l’improvisation de la trace
et la scintillation du souvenir
une écriture qui n’en finit pas
dont on ne sait pas lire
ce qui est écrit
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3
en vérité
notre mémoire
est plus ancienne que nous-mêmes
feuilleté d’innombrables couches
de temps entrelacés
et il nous faut la convoquer
pour pouvoir parler de l’instant
chercher l’évanescence
de ce qui se passe dans l’immobilité du temps
et qui ne va pas sans quelques questions
qui réclament une traque lointaine :
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4
réminiscences
dont on devine qu’elles nous construisent
puis nous transmuent en ruines
sur lesquelles on marche
comme on le fait parmi les rues
des villes dévastées de celles divisées
mais où l’errance poétique
arpentant de sombres décombres
ou se nourrissant des décors de la guerre
y puise ses ressources
autant d’images
évidentes et mystérieuses
mouvements invisibles
imprévisibles et migrants
mis à jour et meurtris dans leur saisissement
comme autant de miroirs qui nous brisent
de corps qui se dissolvent
non dans la brume mais
comme celle-ci se tord en boucles floues et lentes
déchirant leur blancheur aux ramures
grises des arbres
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5
et il ne nous faut pour les susciter
qu’accepter de se perdre dans son regard
comme l’on accepte de suivre son ombre
qui s’avère une exploratrice plus assidue
que l’être qui lui est attaché
regarder alors ces images
sans craindre qu’elles nous transforment
en statues de sel ou de pierre
ni qu’elles disparaissent
nous laissant nus et seuls
face à la faille du silence
et démunis face au néant
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6
c’est ainsi
que se met en branle le travail du regard
que les yeux s’abandonnent
et se fardent de désespoir
pour mieux valoriser le regard du dedans
et simultanément arrachent l’ombre
à la préhistoire de son langage
en allant pour cela
où le regard ne porte pas
ainsi
peut-on faire céder l’inaccessible
ou tout du moins tâcher de le transformer
en étoile guidant le chemin
en le scrutant jusqu’au plus loin
jusqu’à ce que les yeux s’en détachent
et poursuivent seuls l’ascension
car vision et aveuglement sont ici
les faces jumelles de ce même chemin
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7
mais l’errance
doit faire route en compagnie de la mélancolie
ni tristesse ni nostalgie
mais mélancolie créatrice
qui n’a rien à voir avec les ténèbres
mais tout avec l’obscur
– seule manière en vérité
de retisser la relation avec tout le perdu
disposé alors à l’accueil
de la blessure originelle
seulement accessible à qui a répondu
à l’appel silencieux des signes
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8
aussi
dans une nuit qui s’épaissit
n’est pas encore devenue ténèbres
à travers les régions indéterminées de la quête
les yeux fermés tâtonnent vers leur source
et ne fonctionnent plus qu’au souvenir
au plus loin de lui-même
en-deçà de toute mémoire
celui que laissent sur les lèvres
les échos disparus d’une langue oubliée
celle d’avant les mots
à l’aube du langage
ou celui que déposent
au verso du regard les éclats
de lumière sur la pierre d’un mur
sur lequel se sont imprimées
dans les glyphes de leurs lichens
et leurs hiéroglyphes de mousses
les premières images d’un temps
que nous avions perdu
instants d’une lumière
dont la grâce soudain accordée
refait le commencement
du monde