Ce texte est d’abord paru dans la revue Traverses, n° 41-42 en septembre 1987. Il a été publié aux éditions Voix Richard Meier en 1988. Il est dédié à Marcel Alocco.
Un texte venu de l’autre côté de la Terre, de l’au-delà d’un immense océan et de tout un continent encore :
… dans les vallées les plus touffues les bûcherons nous taillent des sentiers avec des glaives de flammes, anciens gardiens du paradis, chassés par les envahisseurs. Les coups de téléphone appelle des renforts car nous sentons bien que les ennemis ne sont plus des humains mais des monstres ou des goules. L’hélicoptère hoquetant survole les ravins ravagés. Des nuages…
Sur ce morceau des taches de sang et le fil comme de l’écume ou comme une phrase ou un roulement de tambour pour annoncer ces événements rouges :
… une signature en rubis en marge du pacte. Ô démon qui m’a su dénicher parmi tous ceux que je refusais pour mes frères, je ne saurais trop célébrer tes inépuisables douceurs. Tu m’as bercé dans tes bras de fer rouge pour que je puisse traverser indemne les sourires et les congratulations : tu as su remplacer dès ma plus tendre enfance chacun de mes cheveux par un clou miséricordieusement enfoncé d’un seul coup de ton marteau de rage, pour que sa rouille en s’infiltrant parmi mes neurones me rende capable de somnoler pendant les discours de mes maîtres. Ô le plus généreux…
Le fil de la couture comme le pointillé de la frontière sur une carte de géographie, et voici un carré noir :
… l’église du charbon a marqué la toundra. L’encre de la malédiction dégouline sur l’horizon déchiqueté. Les chiens hurlent autour des points d’eau tannique le vent égrène ses chapelets de blasphèmes. C’est l’hiver de la messe noire avec ses couronnes de barbelés. Notre sang même est devenu noir pour plaire à ces missionnaires qui nous ont privés de nos dieux, de nos chants et de notre langue, et qui nous donnent en échange du thé, de l’alcool et des couvertures. De longs fils…
De nouveau le motif de la jungle froide, la forêt qu’on abat avec tous ses fantômes et le fil comme des bourgeonnements ou comme une phrase ou des enluminures pour commenter ces citations bariolées :
… les ravins ravagés. Des nuages de fumées se répandent sur les vestiges des villages et les navires de réfugiés guettent les gerbes d’étincelles qui fusent dans ce qui fut des champs. Nous grelotterons sous les tentes que nous a laissée l’armée en déroute, en écoutant les gémissements et les craquements tandis que les odeurs de la chair et du cuir calcinés viendront torturer notre faim. Mais nous savons bien que tout cela n’est qu’un piège de la Nature, et que nous ne sommes en fin de compte qu’un appât. Portant…
Le fil de la couture comme le trajet du frontalier traversant presque chaque jour les doubles douanes. les cases s’épaulent et se contrastent : cette chambre est tendue de la toile dont on fait les jeans :
… foules de printemps entre les buildings, lacis des ruelles dans la marge des grands axes. Les écureuils de la consommation se hâtent en protégeant leurs attaché-cases. Lèvres d’azur faisant la moue dans les rétroviseurs, genoux de rosée pliés dans les wagons du métropolitain couverts de publicités et d’insultes. Dans le carnaval des tissus quelques fleurs. Des affiches…