MICHEL BUTOR
Courir les routes
Ce texte est paru en 2005 dans Le Bonheur de la littérature aux Presses Universitaires de France en hommage à Béatrice Didier. Il est repris dans le tome X des œuvres complètes.
Béatrice Didier est professeur émérite de littérature à l’école normale supérieure, spécialiste de littérature française des XVIIIe et XIXe siècles.
Elle fut l’interlocutrice de Michel Butor dans « Le retour du Boomerang » (1988 PUF).
Ci-dessous, la première partie de ce texte
Stèle préliminaire
L’Hermès des Grecs, qui est aussi le Mercure des latins ou le Lug des Gaulois, était le messager des dieux. Plutôt que de se manifester dans toute sa force de foudre, de soleil, de feu souterrain, ou de s’embarquer dans de complexes métamorphoses, il était plus facile pour un des olympiens de lui demander de parler à sa place. Il était ainsi l’interprète de tous.
Il lui fallait pour cela se déplacer le plus rapidement possible, c’est pourquoi la Fable l’avait doté d’un chapeau ailé qui sans doute l’aidait à lever la tête et à repérer son chemin dans les embrouillaminis les plus denses, mais surtout de sandales ailées. Il était ainsi le patron des voyageurs. Non seulement des voyageurs physiques, mais aussi des pélerins à la recherche de lieux de révélations, même s’ils restaient dans le labyrinthe de leur chambre d’étude, de leur bibliothèque ou laboratoire. Il était le dieu des philosophes et en particulier de ceux qui cherchait à nous rendre jeunesse et santé, grâce à des drogues cherchées parfois sous d’autres cieux. Son caducée, bâton enlacé par deux serpents qui réconcilient leurs venins, est encore l’emblème de nos médecins et pharmaciens.
Invoqué par tous les chercheurs de secrets, interprètes de symptômes et songes, dérobeurs de feux de ciel ou de la Terre, il était tout naturellement invoqué par les voleurs, et partageait avec Apollon la vénération des écrivains.