RAPHAËL MONTICELLI
Conversation entre Remo Giatti et Raphaël Monticelli
Ce texte a été publié par la Diane française (Nice) en 2021 dans un ouvrage particulier, tiré à un très petit nombre d’exemplaires (30 au total) pour célèbrer la carrière d’un artiste, Remo Giatti, graveur émérite, à travers l’évolution de son propre travail mais également à travers son parcours professionnel, les rencontres d’autres artistes, graveurs, écrivains, éditeurs, avec qui il a exposé, communiqué, partagé – certains sont toujours là pour témoigner, d’autres nous ont quittés. La partie consacrée au travail de Remo Giatti permet de suivre l’évolution des techniques et matériaux qu’il utilise – le métal, le bois, le lino, mais aussi le plexi, le rhodoïd et des pièces industrielles, de voir le mélange des techniques, surprendre l’apparition de la découpe du support et de l’importance des blancs, des évidements… et ceci au long de 37 estampes de petit format (16 x 23 cm).
RM : Tu as décidé d’un projet rare, je ne sais si j’en ai d’autres exemples : réunir dans un même ouvrage des travaux de gravure qui jalonnent 45 ans de ta vie. Dite ainsi la chose paraît presque banale, puisqu’on pense à une sorte d’anthologie personnelle comme ont pu en proposer d’autres artistes. Ce qui est rare, c’est que tu as voulu donner une idée de 45 ans de rencontres et d’échanges en associant tes gravures avec celles d’une vingtaine de tes amis artistes. Autant de jalons dans l’histoire de tes amitiés artistiques.
Lorsque tu m’en as parlé pour la première fois (nous étions à Cluj où tu exposais les 90 gravures de ton Geo Grafica), tu avais défini les artistes, tes amis en particulier, comme des « inventeurs d’images ». Je t’avais dit d’abord que quand j’entends les mots « invention » et « inventeur », je pense d’abord à l’archéologie. L’inventeur d’un site :archéologique est celui qui -au sens propre- découvre ce qui était là et que l’on ignorait parce que le temps, la poussière, la terre, l’histoire l’avaient recouvert. L’archéologue ne tire rien de rien. Il montre ce qui avait été masqué, ce que l’on ne voyait plus, ce que l’on ne savait pas voir. Je me suis longtemps demandé si, dans ce sens, l’artiste était un « inventeur », ou si l’art, pour reprendre un formule bien connue, consiste à « faire quelque chose avec rien ». Ex nihilo. Fait-il apparaître de l’existant ignoré, des formes qui étaient là et que l’on n’avait pas su voir ? Ou est-il un producteur de formes inédites. Après tout, les deux conceptions de l’art coexistent. Peut-être même que ces deux objectifs, ou ces deux pratiques, traversent le même artiste : il est à la fois celui qui désigne ce que l’on ne savait pas voir, et celui qui donne à voir ce que l’on n’avait jamais vu. Révélateur d’existant et producteur d’existence. Les exemples ne nous manquent pas.
RG : Oui. Par « inventeur », j’entends justement les artistes qui ont la capacité de faire émerger une image, une forme, une situation artistique qui ne figurait pas, avant eux, dans notre imaginaire. Dans l’océan des formes déjà présentes et connues, les inventeurs d’images parviennent à élaborer une nouvelle vision du monde, personnelle, innovante, faie de signes, d’images, de formes, de couleurs, de techniques. Un artiste cherche, un autre…. trouve (Picasso).
Quelques exemples : Luigi Broggini, un artiste/céramiste crée un logo pour une société de gaz : un dragon à six pattes que l’on voit encore aujourd’hi ; Flaminio Bertoni, un sculpteur, imagine les deux autos symbôles de la France : la deux chevaux et la DS ; un peintre du Trentin, Fortunato Depero, produit la forme de la bouteille de Campari, toujours en usage aujourd’hui ; et encore Bruno Munari, génie italien de la créativité pure tous azimuts.
Les exemples ne manquent pas. Stupéfiante la façon dont Chopin tire son inspiration des gouttes d’eau qui tombent sur une vitre. Et l’architecte américain Gerhy froisse en boule une feuille de papier, la jette parterre, et voilà que naît une idée de Musée (Bilbao etc.). Tout bonnement fantastique.
Contaminations graphiques et inventions formelles dans toutes les disciplines, peinture, sculpture arts graphiques, design.
Au cœur de notre projet, il y a Luca Crippa et Riccardo Licata : ils répondent tous deux parfaitement à cette définition en raison de leur étonnante aptitude à trouver des formes nouvelles, et à leur capacité de les tirer de rien, et de les développer avec cohérence.
C’est grâce aux relations que j’ai entretenues, en plus de Luca et Riccardo, que j’ai pu y intégrer des œuvres de quelques artistes contemporains que j’ai rencontrés, avec lesquels j’ai exposé, et travaillé.
L’ouvrage est enrichi par les œuvres de quelques artistes (français) qui ont travailllé avec la Diane française.