Jean Dubuffet : Honneur aux valeurs sauvages.
Je connais très bien les gens lettrés ; j’ai beaucoup vécu parmi eux ; je regrette de déclarer que j’ai pour eux peu d’intérêt et peu d’estime. Même si on veut ne pas parler de l’orgueil insensé qu’ils ont de leur pauvre petit bagage d’information — orgueil qui les rend tout à fait stupides et odieux — il faut constater que ce sont en tout cas d’autre part des gens qui sont moins originaux que les autres, moins vivants et moins ouverts que les autres ; des gens tous uniformément pareils et comme frappés tous au même moule, ressassant tous les mêmes rengaines empruntées à leurs manuels ; des gens chez lesquels le naturel et toutes les spontanéités qui font la grâce d’un être humain, sont atrophiées, et remplacées par un langage étranger stéréotypé, un monologue de perroquet qu’ils répètent comme ils l’ont appris et qu’ils ont tous en commun, un langage anonyme et mort, artificiel, conventionnel, fait de poncifs et de clichés, sans terroir, sans racines humaines réelles, sans vertu.
Jean Dubuffet : Prospectus et tous écrits suivants. Réunis et présentés par Hubert Damisch avec une mise en garde de l’auteur. Tome 1. Gallimard, 1967.