RAPHAËL MONTICELLI
Cette "espèce de conte à l’usage des enfants qui veulent comprendre Pascal Simonet et des autres s’ils souhaitent le comprendre aussi" a servi de préface à l’exposition de l’artiste à Antibes en 1999.
pour Sophie, Magali et Pierre
C’était il y a bien longtemps... Un monde nouveau s’apprêtait alors à naître. Dire un monde nouveau n’est pas très juste ; ce qui naissait c’était aussi une façon nouvelle de regarder le monde. C’était à la fin du XIII° siècle ; l’art, dans des pays comme le nôtre, allait peu à peu cesser de dire l’ordre de dieu, pour, peu à peu, figurer les objets et créatures du monde. Peu à peu les ciels des tableaux allaient perdre la feuille d’or et devenir bleus... et, plus encore, peu à peu, allaient se charger de nuages... Peu à peu, le monde apparent allait s’inscrire dans la peinture des artistes, avec ses montagnes, ses villes, ses animaux, sauvages et domestiques, ses hommes et ses femmes, plus ou moins beaux, plus ou moins pauvres, plus ou moins jeunes, avec aussi ses arbres, ses herbes, ses fleurs, ses guerres, ses amours, ses palais et ses maisons, ses intérieurs, plus ou moins intimes, plus ou moins modestes, avec des tables plus ou moins garnies...
Le monde des hommes.
Je m’en souviens comme si c’était hier... Il y avait alors un homme... A vrai dire on le croyait alors un peu fou... qui s’était mis en tête de parler à toutes les choses du monde d’alors : les oiseaux et les poissons, les autres hommes... Il s’adressait aussi bien au soleil et à la lune, aux étoiles, à l’eau, à la terre et au feu... Et il disait ainsi aux autres hommes que notre monde mérite qu’on le considère, qu’on en parle, qu’on lui parle, que nous sommes si proches de ces bêtes et de ces choses, que nous avons tellement besoin d’elles, que nous devons apprendre à vivre avec elles, à les aimer, peut-être même... ou à les rendre aimables.
Oui, c’est comme si c’était hier... Il s’appelait François. Vivait dans une ville italienne appelée Assise.Vous avez peut-être entendu parler de lui:Saint François d’Assise. Et la légende dit qu’il avait même longuement discuté avec un loup -vous savez que la plupart des gens pensent qu’un loup c’est forcément féroce- et qu’il avait conclu un pacte avec lui pour faire la paix, pour que le loup puisse vivre en bonne intelligence avec les habitants de la région. Vous comprenez, bien sûr, que ce loup représente tout ce qui nous fait peur et que la légende de saint François nous dit qu’il faut apprendre à regarder notre monde comme il est et à apprivoiser nos peurs.
Bien, me dites vous, mais pourquoi nous parles-tu de tout ça ? Et qu’est-ce que ça a à voir avec ce que fait Pascal Simonet ? Parce que, si on a bien compris, tu devais nous parler de Pascal Simonet, non ?
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Bien sûr, bien sûr... Je dois parler du travail de Pascal Simonet. Et c’est un peu de ça que je parle. Voyez vous, aujourd’hui, comme il y a bien longtemps, un monde nouveau est en train de naître, et nous avons besoin d’une nouvelle façon de de regarder ce monde. Oh, il n’est pas toujours agréable à regarder ce monde, ni toujours aimable, je suis bien d’accord, il est plein de loups, si vous préférez. Tenez, prenez les objets par exemple. Un peu, c’est bien, mais il y en a tant, dans nos pays, qu’ils nous étouffent. ça fait des empilements monstrueux dans nos supermarchés ; nos maisons en sont pleines, ça nous cerne, ça remplit nos rêves (parce que nous rêvons de les posséder tous), mais ça remplit aussi nos cauchemars (parce que nous avons peur que cette avalanche de possession nous tue).
Et il n’y a pas que les objets des supermarchés, il y a ceux de nos villes, et des routes qui relient nos villes. Il y a ces grands loups qui mangent tant de vies innocentes, ces grands responsables de douleur et de mort : les déplacements, les automobiles, les routes, les autoroutes... Nous savons bien que nous avons besoin de tout ça... Mais en même temps, ça nous inquiète beaucoup. Voyez la moindre route... Si vous avez déjà vu goudronner un chemin de terre et de pierre vous savez combien c’est terrible : la terre étouffe, là-dessous, on le sent bien... D’ailleurs plus rien ne pousse. L’eau même ne peut plus y pénétrer. La route bitumée : comme une longue pierre tombale qui écrase la terre.
En plus, tout ça, ça fait du déchet, ça se jette, ça ne se recycle pas forcément. Que ferons-nous des carcasses de nos voitures, et des rambardes enfoncées de nos autoroutes ? Que ferons nous des cadavres imputrescibles de tous nos objets ? Et comment arriverons nous encore à regarder nos herbes et nos plantes, nos racines et nos arbres ? Comment garderons-nous, malgré tout, le goût des aloès, la saveur des agaves, la couleur lourde des oliviers et l’odeur entêtante des palmes ?
Et Pascal Simonet ? me dites vous encore...
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Eh bien, c’est toujours de lui que je vous parle ; et c’est tout simple, écoutez. Pascal Simonet est un de ces artistes qui ne nous dit pas le monde qui fut ou un monde idéal. Non, il va parler au monde tel qu’il est, et aux choses du monde telles qu’elles sont aujourd’hui. Et il s’adresse aux pneus de nos voitures, aux tables de nos jardins et de nos cafés, aux souffleries, aux poteaux, aux lanternes de nos villes, pour nous dire que notre monde mérite qu’on le considère, qu’on le regarde ; que, bien sûr, nos objets ne sont pas toujours jolis, jolis, mais nous avons tellement besoin d’eux, et nous sommes si proches d’eux, et, c’est terrible à dire, ils nous ressemblent tellement !
Et même, ils ressemblent tellement à tout ce qui nous fait rêver. Alors, Pascal Simonet nous les montre comme nous ne les avions pas encore vus : voyez comme l’image de ce pneu éclaté hésite entre le souvenir d’une peau de lézard ou de crocodile et celui d’une belle plante endormie. Voyez comme cette branche, ou cette fleur, dessinent la forme des lampadaires de nos villes, comme une enseigne peut devenir un livre de poèmes. C’est un peu comme dans ce poème de Prévert où l’on voit, dans une salle de classe, le crayon qui redevient arbre, la craie qui redevient falaise ou la plume qui redevient oiseau... Et ce n’est pas seule légende de dire que Pascal Simonet va chercher à apprivoiser ces objets de nos grandes peurs. Tous ces loups qui risquent de nous dévorer.
Mais voyez vous, il ne dit pas non plus que l’objet industriel est plus beau ou plus laid que l’objet naturel, il ne dit pas non plus tout à fait comme Prévert.... Parce que Pascal Simonet ne fait pas disparaître le crayon, la craie ou la plume : à la place de Prévert, il aurait mis la plume à côté de l’oiseau : c’est ça, sans doute, de parler aujourd’hui, aux choses de ce monde, c’est de faire circuler des images et des rêves entre ce que nous appelons "la nature" et nos objets industriels, c’est de les mettre en communication, de les faire dialoguer. J’imagine bien ce que pourrait nous dire Pascal Simonet :
"Rendons nos objets à leurs origines, aux images qu’ils portent en eux : elles sont aussi les nôtres ; rendons le pot de fleur à la terre et aux plantes qui l’ont fait naître et lui ont donné forme ; l’extracteur d’air aux grands vents qui l’inspirent et aux cris des mouettes aux bords des plages ; les pneus aux monstres dont ils ont adopté la mue ; et rendons la grâce et le chant à tous les végétaux qui bleuissent la terre."