MICHEL BUTOR
3) La définition des couleurs
Les physiciens définissent aujourd’hui les couleurs par des longueurs d’onde. Encore faut-il remarquer que cela ne concerne que les couleurs les plus pures, et que même pour celles-là il ne s’agit pas d’une mesure unique, mais de toute une zone sur l’étendue de laquelle les avis peuvent différer, diffèrent en particulier d’une langue à l’autre.
Des goûts et des couleurs il faudrait ne pas discuter ; encore est-il qu’il faut bien de temps en temps. Cette incertitude ne se limite nullement aux diverses formes de daltonisme, mais exprime les fonctions symboliques des couleurs à l’intérieur de telle ou telle situation culturelle.
L’étude des dictionnaires nous montre quelles difficultés les couleurs présentent pour le lexicographe. Les définitions frappent immédiatement par leur imprécision, leur insuffisance. Certes, ce sont des données si fondamentales pour notre expérience, que l’on estime que le lecteur connaît déjà ce dont il s’agit, qu’en réalité on n’a pas besoin de le définir pour lui, ce qui est éliminer un peu vite tous les mal voyants.
Ainsi Littré nous dit que le bleu est la couleur d’un ciel sans nuages, ce qui est repris par Robert. Mais le ciel nocturne est d’un tout autre bleu, si l’on peut le dire bleu, et surtout le ciel du soir et du matin déploie toutes sortes d’autres couleurs. En réalité, il faut donc lire : de la couleur d’un ciel sans nuages quand il est bleu. Larousse, plus prudent, en reprenant cette définition, ajoute de la couleur du bleuet, ce qui ne fait que renforcer la tautologie : de la couleur d’une fleur qui est bleue.
Le blanc selon Littré, c’est la couleur du lait. Larousse ajoute la neige, et Robert précise : la couleur la plus claire qui existe. Le moindre automobiliste sait aujourd’hui que c’est le jaune qui est la couleur la plus lumineuse.
Pour le rouge, Littré donne : couleur du feu, du sang (ce qui amènerait bien des remarques) ; Larousse retranche le feu, mais ajoute au sang les coquelicots, auxquels Robert jugera bon d’adjoindre le rubis.
On voit que les couleurs désignent en fait pour les lexicographes des éléments fondamentaux de notre existence : le lait, la neige, le feu, le sang, le ciel, l’herbe pour le vert, à quoi l’on s’efforce d’ajouter quelques précisions qui ne sont que des exemples, en citant des fleurs ou des pierres.