THIERRY RENARD
Quelques ouvrages à lire ou à relire, pour le temps de l’été, parce que la poésie, sous toutes ses formes et dans ses nombreux états, est plus que jamais « nécessaire au jour blessé d’aujourd’hui ».
Il y a quelques livres, rares, qu’on ne cesse de relire, dont on ne parvient plus à se défaire. La Chaise de Van Gogh, de Paola Pigani, compte parmi ces recueils. Histoire de chaises, vides pour la plupart, de vieilles chaises trouvées par hasard, celle de Vincent, le peintre devenu célèbre après sa mort, et celles, plus nombreuses, de Lino, le familier, tous les deux réunis pour l’occasion. Car cet ouvrage sonne comme un hommage aux accents de nostalgie. Le père, immigré italien, ouvrier-paysan, trieur de ferraille, saute d’une langue à l’autre. Le père est ici le personnage principal, au milieu des phrases offertes comme des vers accomplis, et comme des toiles peintes. Mais c’est la mère qui continue de faire lever la pâte à pizza. Et il reste tous les souvenirs, l’odeur du feu dans l’enfance, le bout du champ, les ciels d’hiver, les mains du père, la polenta, le dernier exil… À lire et à relire, sans fin. Un poème-récit où chaque mot compte. Émotion garantie.
[ La Chaise de Van Gogh , Paola Pigani, éditions La Boucherie littéraire, collection Sur le billot, février 2021. 15 €.]
++++
L’exercice est plutôt maîtrisé, et le résultat est saisissant. Il faut pouvoir apprécier des œuvres de ce genre, qui en disent long avec une économie de moyens – de mots. Brosser le portrait d’une mère en soixante fois quatre phrases, ou quatre vers, toujours brefs, toujours justes, n’est pas chose aisée. Fabienne Swiatly réussit le pari, et elle nous entraîne, dès la première page – les premiers mots – dans son sillage, sur la page d’encre de la vie ordinaire. Petits bonheurs et gros chagrins. Joie secrète ou silence intérieur. Tout s’enchaîne ici sans se confondre car, malgré la diversité des instants contés, la clarté apparente du propos continue de filer à un rythme rapide et nerveux. Fabienne Swiatly a réellement le sens de la formule, et chaque court fragment de ce récit en témoigne : « Bout rouge de sa cigarette. / Le livre entre ses mains, un émerveillement. / D’un coup de fesse, elle m’éloigne. / Entre nous la terrible distance. » Ici, encore, cruauté et tendresse quotidiennes se mélangent sans fard.
[ Mère éléphante , Fabienne Swiatly, éditions des Lisières, juin 2021. 11 €.]
++++
Il y a des poètes aujourd’hui qui n’ont pas froid aux yeux et pour lesquels aucun sujet n’est tabou. Il y a des poètes qui font le choix d’écrire dans une langue simple, avec des mots justes, et qui souhaitent être lus par le plus grand nombre possible de lecteurs. Il y a, enfin, des poètes qui chaque jour font une déclaration d’amour à notre langue, la langue française. Yvon Le Men, Goncourt de la poésie 2019, est de ceux-là. Dans À perte de ciel, l’un de ses plus récents ouvrages, il a choisi d’évoquer le mont Saint-Michel sous la forme d’un livre « poème » d’environ deux cents pages. Un chant, presque, ou un récit, avec des chapitres, et des titres pour chacun de ces chapitres : Sauf en rêve ; Dimanche en majuscule ; Causes communes… Le projet est à la fois ambitieux et généreux, puisqu’il s’agit ici de relater l’histoire des civilisations à travers celle d’un lieu de pèlerinage éternel, unique, le mont Saint-Michel lui-même. Par endroits, des fulgurances et des respirations en même temps. « Au plus haut va ta prière / du plus bas elle naît ». Yvon Le Men sait parler à toutes nos humanités.
[ À perte de ciel , Yvon Le Men, Bayard Éditions, août 2021. 16,90 €.]
++++
Musicien improvisateur, à la fois saxophoniste et clarinettiste, accompagnateur de très nombreux poètes, d’expression française ou italienne, depuis son plus jeune âge, fils du traducteur et écrivain d’origine sarde disparu prématurément en juin 2017, Marc Porcu, Dimitri Porcu est lui-même poète. Et, s’ils portent en eux le souffle du poème, ses mots mis bout à bout composent de véridiques morceaux de musique originale – en somme, une manière de partition. Car, dans ses recueils, et en particulier dans le dernier, Tous-solo, Dimitri Porcu reste fidèle à une langue métissée, riche de plusieurs langues, dont la plus universelle de toutes, la langue musicale. Sa poésie s’écoute, tout d’abord. Mais elle peut aussi se lire dans l’intimité de la chambre. Et pour ce qui est du propos, il est lui porteur d’un élan radical et d’une « vitalité désespérée ». Nous sommes tous des solitaires, nous rappelle le poète qui a fait du deuil et de l’exil ses constantes priorités. « Migrants de tous les pays, unissez-vous », semble vouloir nous murmurer à l’oreille la voix muette dont le chant est orphelin.
[ Tous-solo , Dimitri Porcu, Éditions de l’Aigrette, février 2022. 12,00 €.]