RAPHAËL MONTICELLI
Ce texte accompagnait l’exposition personnelle de William Xerra à la galerie Maria Cilena, Milan, en 2013.
Il a été intégré dans le recueil "Chants à Tu" (La Passe du Vent, ed. Vénissieux, 2019)
Je l’ai lu notamment, en mars 2022, lors de la 15ème édition de Poésie & musique.orge, organisé par la Compagnie Les Trois Clous à la MJC François Rabelais de Savigny-sur-Orge. On en trouvera une captation video à la suite du texte ci-dessous.
Voici l’homme aux deux visages l’un tourné vers l’amont l’autre vers l’aval, l’hier et le demain.
C’est l’homme des passages, l’homme aux deux fronts, l’homme frontières.
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Voici l’homme de toutes les formes, de toutes apparences, de tous aspects.
Il tient la porte sur laquelle se pressent les choses qui furent, et qui s’entrouvre sur celles qui seront.
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Voici l’homme aux yeux multiples.
Chacun de ses regards ouvre un regard en nous.
On dit que seul le dieu qui sait faire musique des cordes-horizons peut clore tous ses yeux et provoquer sa mort.
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Voici l’homme qui porte un flambeau à bout de bras.
On appelle chemin ce qu’il éclaire,
souffrance l’ombre qui l’entoure.
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Voici l’homme-enfant-qui-sait-l’avenir :
la mort à venir, la troublante présence de la mort dans la vie.
Il joue les moments du bonheur dans le sable qui fuit, les cendres légères, la lumière éphémère, les couleurs en haillons, le monde en morceaux, les débris du temps.
Il vit en chantonnant son babil comme pour taire le futur.
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Voici l’homme de la Parole.
L’homme de la parole qui doute
celui qui met en doute la parole l’homme de la déroute les mots.
Celui qui met en déroute les images qui affleurent du mot,
et les mots qui couvent dans l’image.
Il se multiplie dans les simulacres,
masque ce qu’il veut montrer,
se joue des tarots et des cartes,
fictions par lesquelles nous prétendons maîtriser l’espace qui fuit
et les temps inconnus.
Sur sa peau, dans sa chair et son corps sont inscrits les réseaux et les accidents du monde,
mers et océans, fleuves et pays, terres et frontières.
Son ombre doublement efface la terre qui la porte.
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Voici l’homme de la duplicité rayonnante,
de l’hypocrisis flamboyante.
Il est celui qui ment, conscient de mentir et sans cacher qu’il ment, de sorte que chacun, l’écoutant, et reconnaissant qu’il ment, se persuade que, mentant, il dit vrai, tout en sachant qu’il ne dit pas le vrai.
Il fait vie de nos fictions, fictions de nos vies.
Voici l’homme du mentir vrai.
*
Voici l’homme des effacements et des retraits.
Il s’efface de ce qu’il efface.
Se retire de ce qu’il retire.
Il ne laisse de traces que des effacements et des retraits.
*
Voici l’homme mis en pièce, déchiré, démembré, dispersé.
Pourtant ses lèvres, murmurantes au moindre vent,
invoquent à jamais
l’Absente.
*
Voici l’homme qui sait ce qu’il en est et qui ne nomme rien.
Il est l’homme d’après l’Éden,
l’homme sans Éden,
l’homme en souffrance d’Éden.
*
Voici l’homme qui perd le monde qui le perd.
L’homme sans territoire.
*
Voici l’homme.