RAPHAËL MONTICELLI
Voici un texte de 2004. Préface d’une exposition collective organisée par l’association niçoise stArt, il comporte deux parties. La première, Avant-œuvre, donne les circonstances de sa rédaction. La seconde Musica Maestro ! appartient au genre littéraire du centon.
Mots, formules, phrases et images repris à
ABRIL, ALIOTTA, ALTMANN, BAYARD, BOIZARD, BONIFACE, BOSI, BOUJOT, CHARPENTIER, CHARVOLEN, DUPONT, ELI, FRANTA, GAUDET, GIOVANELLI, GODARD, GOALEC, HODEIB, KIKOTO, KAANTOR, KREFELD, LANDUCCI, LAURENT, LE BELLEC, LUCAS, LUCCHI, MAS, MICHEL, MIGUEL, MOULIN, MOREAU, NIVÈSE, PIANO, REYBOZ, ROSA, ROTTIER, SITER, TARIDE, THIBAUDIN, VERNASSA, VOLIOTIS
et mis en forme par Raphaël MONTICELLI
*
Dieu est sans aucun doute d’abord et avant tout musique....
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I
A peine une trace
aube de dialogue empreinte de temps
force insolite des exigences du bâti
à peine
la rencontre d’une ombre délavée
gris-pâle
et mes mains en débat avec mes images du dedans
A peine cette morsure ardente du manque
et l’exploration du regard
(ainsi l’écriture)
à peine un effet du temps
mes mains exploratrices d’inconnu
l’unique épure d’une trace
l’ombre d’une ombre s’effaçant
stratégies de la déraison
tout est dessinable
des vagabondages de l’âme
nul besoin de croquis
(et cette image inattendue de mannequins postés dans un hangar)
à peine une trace de mystère
à l’approche de l’intime
et mes mains transformatrices du connu
(on disait : « centrale poétique des traces »
on voulait dire « voici le lieu de l’origine »)
pas d’esquisse
mille dessins couvrent les murs
insémination de l’après par l’avant
pas d’esquisses
Juste une goutte de mystère
(encore inattendue cette image du hangar des charbonnages)
filiation entre connu et inconnu
Juste un soupçon de mystère
(des visions du « dedans ») on dit
« tout vient de fragments recueillis »
avant tout la béance
et encore on dit
« tout est né d’une visite d’atelier »
une tâche obligatoire
la prise directe de l’espace
Juste une poussière de mystère
Prima la main transformatrice de la tête
les fragments recueillis des reliefs d’un travail
la présence dans la clarté
(toujours cette image d’atelier inattendu)
l’effacement des constructions
rien
rien que cette trouée
Tout retourne à cette poussière du mystère
(dans la prévision des zones)
à ce qui sans cesse en surgit
le geste enseveli
Pas de dessin
(on dit : « c’est le hasard,
oui, le hasard d’une rencontre »)
pas de dessin :
seule l’association libre des matières
pas de projet
la lumière obligée. (...)
la surveillance des manques
Tout est là,
dans les poussières du mystère
la mesure des zones denses et aérées
tout y est : l’attention dans le voyage
et l’envol mal assuré de l’hésitation
mes mains leur dialogue avec la matière
et encore la colère
on dit : « au début il y a le voyage en pays lointain »
des outils
lointain voyage de la méditation
Mon Afrique des ténèbres
force biologique du dessin
et encore un dialogue qui naît
tout cet insoupçonné qui se projette sur la toile
le grain de sel du hasard
le fantôme de l’Afrique
mes mains leur intimité avec l’argile
Mes outils
le respect du temps qui passe
le disparate
Et c’est bien ainsi :
les prémisses d’un dialogue
un projet que porte la toile
la force d’un mouvement.
le surgissement même
le hasard des découvertes
et cette idée qui vient du ventre
++++
II
(
ou rien d’important mais
un éclair qui vient du ventre
les contraintes de l’architecture
non, non, (dit-on) pas d’avant l’oeuvre si ce n’est
ce regard qui porte au-delà du trait
la toile que nous habitons
mes mains et les confidences de la terre
le mutisme obstiné des dieux cet indicible « avant »
les métamorphoses de l’espace
la joie de la fébrilité
quelque chose de désespérant
le but insoupçonné
on dit :
« pas besoin de préliminaires »
sinon un outil (son parcours secret)
ce corps que nous vivons indicible « pendant »
la vocation de l’espace
la joie de la fertilité
la peur de l’autre
mes mains et leur dialogue avec ma tête
le feu jailli des paradoxes
pas de préliminaires
mais le plaisir seul d’accomplir
un outil au trajet invisible
Les esquisses de l’échappée
ce corps que nous sommes les leurres les projets
les fuites étourdies
le silence des dieux
la joie de l’éclair
la symphonie des percussions
les images et les livres
les œuvres d’art voisines
on dit : « éviter les préliminaires » laisser monter cette forme
laisser
le projet de porter
les navires de cyclopes
laisser
le temps qui passe
l’effondrement dans le réel
« pas besoin d’atermoiement »
les fleuves de rhinocéros
qu’il suffise d’une pensée
que germe le corps dans la toile
les stratégies du secret
l’artifice des danseuses
non rien sinon
l’accomplissement
un dessin sans cesse poursuivi
la toile dans l’espace l’obligation de se perdre
l’ombre cendrée des arbres calcinés
rien sinon ce fil à quoi tiennent les choses
la maturation des idées
pas besoin de la moindre attente
une apparition gris pâle le dessin
pour ne pas oublier l’idée de ce qu’il faut faire
la conscience de la poussière
la maturation des matières un détail de mur
l’essentiel le but ultime une ligne à peine visible
l’espace
« rien » sinon le dessin prospectif qui élargit notre vision
le testament des arbres
on dit, « rien »
sinon
l’image souple de tes seins
la maturation du bois
« non rien » que le point après le mot fin
« rien » si ce n’est ce monde extrême où nous vivons
le manuscrit de l’herbe morte
le dessin noirci du possible
ces fantômes qui font œuvre
la joie de respirer
« Rien »
que l’expansion du temps
l’envie qui domine et guide
l’espace que nous habitons
juste l’ébauche d’une ébauche
pour que viennent les apocalypses
« il n’y a pas d’avant » sinon
une intuition à vérifier
l’association des fragments de ma tête
la mine de plomb qui court sur le papier
la toile où nous vivons
on dit
« rien » sinon
le travail
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III
« rien »
que ce besoin cet échange à naître
les manuscrits de l’herbe brûlée
« rien » que la présence du modèle
avant toute abstraction
l’inspiration fraîche des vallées
l’air musical des montagnes
la peur mordante du sexe l’ensorcellement des forces
jouissance de l’ « incognita ».
l’angle d’attaque de la lumière
« rien »
l’émotion qui jonche un atelier une matière
il n’y a
ni dessin ni dessein
mais des yeux
l’exigence d’un échange
les cendres de la cendre
le temps passé qui fait son oeuvre
les calculs géométriques
la trace faible des origines
l’envol des voiles de pudeur
les ébauches « non ! pas de plan »
seulement nos yeux ouverts
le douloureux désir d’échange
la contamination des cultures
la peur du manque la fièvre
ce que l’on voit dans la rue
et le savoir qui fait son oeuvre
l’approche lente et les calculs des techniques
foncer plein pot dans la terre,
la recherche d’objets inédits
Rien sauf
le besoin de garder les yeux ouverts
ton regard qui scrute les choses
le matériau la peinture le corps
l’envie de faire l’idée qui germe
le fracas têtu des tam-tam
l’Incendie des idées
le dessin Le nu
la révolte
« rien » que les formes du corps où prend naissance l’abstraction
« rien »
les yeux ouverts sur l’homme
ce mal au ventre
l’exploration du trou noir
« moi » qui rebondit virevolte casse
« moi » enseveli au plus profond de moi
cette vision du dedans sur l’objet à construire
le plein pot de la peinture
la toile blanche
la beauté des égarements
les forêts en feu
l’orchestration du travail de la forme
la tentative de tout ce qui vient
l’humanité exploitée
la beauté dans la perdition
les idées souvent du vent
l’assemblage des pièces de bois
un questionnement du réel
une élaboration abstraite
l’humanité bafouée
« moi » qui éblouit un peu
l’incompatibilité entre les objets et l’art
« rien »
la volonté de rendre sensible un être au monde
Pompeï les derniers rivages des fleuves
le plein pot de la démesure
un apprivoisement du réel
le ventre ancestral des oliviers explose
humanité domestiquée
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IV
la haine des despotes
moi qui rabroue broie braille brave
le refuge sûr de la pierre
des bambous des encres des arches
les fresques de bordels anciens
nos constructions méticuleuses
les petits dessins jetés
le désir de liberté
les escapades solitaires
la mémoire sûre des pierres
un poème nouveau-né
le flirt avec le cosmos
des outils sur du vélin
l’ errance les égarements
la peur essentielle du feu
les petits dessins que l’on pousse
l’explosion des animaux
les variations de la lumière
toutes les questions de l’art
l’imprégnation de l’esprit des lieux
les pierres d’eau source de vie
le ruissellement des doigts
une nuit pleine qui passe
les présages des mers du Sud
les dessins que l’on pousse dans les pages des livres
l’insolite reconstruction du monde à ma façon
la quête de l’incompatible
l’interrogation du possible
la plongée dans l’intime
l’ arche échappées des déluges
les paradoxes de la Mer Morte
les tracés au millimètre
les brûlures du ciel et la désolation de la terre
un poème de la nuit
la fraternité des arbres
le refus du passé
le rituel de la pierre
un poème de la veille
le chatoiement bleu des écorces
les images floutées l’accroche à l’avenir
les changements de la lumière
l’image émergeant du papier
l’eau seconde de la pierre
les indiscrétions d’Eros
ce que je vois les nuits de veille
les arbres crucifiés
les parcours sur la peau des arbres
le silence du chaos
les naissances de l’ oeil
regard visée obturateur
la méditation de la pierre
le grains des yeux sur les terres déblayées
la germination du poème de la nuit
la caresse des cartes marines
les premières inquiétudes
trente ans de préliminaires
le négoce avec la lumière
les photographes que j’aimais
le vide le temps la fragilité
un fragment de tôle rouillée
ce que je sens l’empreinte d’une phrase
les désirs des anciens marins
la mémoire double des pierres
un fragment de bois
l’émotion qui se fait objet
l’harmonie sereine des pierres
un crayon une esquisse
ma façon de sentir les choses
l’avenir que l’on veut meilleur
préliminaires quotidien
une phrase du matin
la géographie des écorces
la méditation sourde des pierres
l’instant privilégié
que je vis
une forme au petit matin
la parole des sorciers
les préliminaires des heures
l’oeuvre d’avant qui appelle l’oeuvre d’après
les vitraux des cathédrales
le réconfort trouble des pierres
tous les spectacles du monde
ma manière de sentir les choses de la vie
la qualité de l’heure
tracés rythmes et couleurs
les terres de l’inachevé