FLORENCE SAINT-ROCH
Dans les Montagnes noires de Florence Saint-Roch, Raphaël Monticelli a cru entendre des échos de ses Terrils sur des dessins de Daniel Mohen.
Le projet s’est vite imposé de mettre ces deux textes en dialogue... pour voir.
Voici le résultat. Florence Saint-Roch en romain, Raphaël Monticelli en italique.
1.
On est un peu fatigués
De vouloir saisir toujours
Ce qui n’a pas de nom
Tant d’heures à scruter
Les failles les interstices
Par lesquels ces drôles de choses
Passeraient
C’est tout noir là-dedans
De jour comme de nuit
Les heures obtuses
Au fond du crassier
Rêves de naissance
ils attendent
dans des veines de sève durcie
Si on veut approcher sa bouche de celle des enfers
on est saisi
On en porte la trace au bout des plumes
des pinceaux.
++++
2.
L’horizon s’efface
Longue descente
Au cœur de la matière sombre
La terre au travail avec elle-même
Dans un crépuscule permanent
La veine ouverte se ramifie
On passe en-deçà de tous les seuils
Autres mesures autres échelles
Pour gagner l’aveugle souterrain
La source ténébreuse
temps momifié
enveloppes détruites
pauvres armures
temps a laissé
cet éclat terne de laves et de rouilles
ce goût de cendre et de charbon
et survit à sa perte
++++
3.
Marne roche ou minerai
Masses confuses odeurs contradictoires
Les matières défaites se recomposent
Sans trouver leur couleur
Pourquoi vouloir tout éclairer
Ici plus qu’ailleurs on sait
La mise en lumière parfois fatale
Alors on y va les yeux fermés
L’autorité du verbe est restée là-haut
Avec lui l’assurance des mots
Sous le bruit des écorces
c’est la respiration humide des aubiers
endormie dans sa forme
où les feux sont enfouis
Ils ont détruit une
toutes les enveloppes
pauvres armures ;
Ils ont laissé ces cendres,
charbons, laves et rouilles
et se survivent
++++
4.
On dit ressources fossiles
Gisements végétatifs
Vastes forêts disparues
Si les replis oublient
Les fêtes du solstice
Est-ce que le temps
S’est endormi
Comme si l’attente restait
Au fond de la boîte
La terre elle-même
Voudrait refaire surface
Rêve de collines
Où les arbres ne mourraient pas
Les sèves froides
sont demeurées
béances au bord du vide.
Elles sont
survie de leur perte
Elles viennent
Ardeur des lumières
explosive
Ardeur des oxydations
Lente
++++
5.
Là-dessous point d’aurores
Les températures restent tièdes
L’air partout rare et pesant
D’affleurements en enfoncements
Chacun rejoint sa nuit
Quel lieu plus grave plus attractif
On y apprivoise nos forces
C’est cela comprendre
Mesurer l’étendue du bassin
Apporter des consolidations
Défaire les couches compactes
Aller ferrailler plus loin
Qu’elle vienne, la force silencieuse des longues métamorphoses,
Ardeur des explosions
Lumineuse
Celle des oxydations
Lente
Qu’elle creuse les doutes
Plus profond que la chair
Qu’elle mette à vif les plaies les plus secrètes.
++++
6.
Nulle étoile pour désigner la route
Notre marche met du silence
À l’intérieur du silence
Les murmures se meurent
Les voix ne bougent plus
Prudemment on ouvre
La porte des chambres
On en extrait l’ombre infinie
Et d’abondance ça vient
Noir d’ébène ou de fumée
Brou de noix ailes de corbeau
Ici se sont enfouis tous les feux à venir
Ils nous laissent béances
au bord du vide
perdus parmi cendres charbons laves et rouilles
qui survivent de sa mort
++++
7.
L’obscurité s’incruste sous les ongles
Emplit les pores de la peau
Galeries et couloirs opaques
Forment un passage étroit
Nous on pioche on se noue
Et quand la fatigue insiste
On fait pelote autour du noyau
Au coude à coude avec les anses
Les méandres
Les perspectives manquent peut-être
On méconnaît l’oiseau
Toutes nos enveloppes
nos pauvres armures
une à une
détruites
Nous avons établi nos espaces
dans le chatoiement sourds des poussières
Des rêves de naissance attendent
au creux des veines durcies
++++
8.
Est-ce qu’on se situe avant
Ou après le chaos
Avec industrie on déblaye
À cent pieds sous terre
Des milliers de tonnes
Sur des milliers de mètres
Au milieu de nulle part
Ce serait tentant
De penser qu’on ne rencontre pas
Sans rien y voir
On fait de la place
On apparaît autrement
Il viendra le feu
Ardeur des lumières explosives
des oxydations lentes.
Il nous saisit quand
nous nous penchons au bord des enfers
On ne se consume que des feux que l’on a osé voler
++++
9.
Nos mains devenues habiles
Auscultent les parois
Palpent leur membrane sensible
Obstinément pulse
Ce qui jamais ne sera porté
Au grand jour
Comme si le ciel était le seul abri
La seule promesse
Rien ne se réduit à rien
Et à force même le vase clos
Devient communicant
béance en bord de vide
Pour survivre à la perte
On jette ses traces
en gestes vifs illuminés de froid
Un feu les reprendra
la vie tremblante
Plaies à vif
Plis intimes
Plus profondes que les douleurs de chair
Les torrents des sèves endormies sont toujours prêts à sourdre
On ne se consume que des feux dérobés.
++++
10.
Le principe semble indiscutable
Il y a forcément quelque chose dessous
Là-haut les arbres et les rivières le savent
Mais nous on n’a pas d’images
Juste des odeurs
Pour le croire
Comment être sûr de reconnaître
En tâtonnant toujours
On suit la veine on se déploie
On ne veut pas manquer
Ce que le noir exige de nous
dans le sourd chatoiement des charbons et des cendres
poussière que le vent de solitude blesse
on établit ces espaces dont on veut prendre possession
Nos douleurs y sont ensevelies
Plus profondes que celle des chairs mises à vif au creux le plus intime de nous mêmes
Des rêves de naissance frémissent
sous les torrents durcis des sèves endormies
On pose
Ce qui fut
en tremblement de vie