Ne craignons rien, pas même les provocations humoristiques. Je commencerai ainsi cette prédication par une citation quelque peu perturbante du cinéaste Woody Allen, dont on connait la fantaisie décalée.
Avec son style, le voici déclarant : « Je ne sais pas si Dieu existe, mais s’il existe, j’espère qu’il a une bonne excuse ». [1]
La pensée est perturbante, mais elle reflète une opinion commune à laquelle nous sommes fréquemment confrontée ; formulée plus platement on pourrait la dire ainsi : « mais si votre Dieu existe, comment tolère-t-il tout cela ? Les guerres, la famine, la misère. Et tout ce cortège de malheurs qui nous est quotidiennement décrit au gré des informations ».
La question est légitime et nous ne pouvons l’esquiver, sauf en se réfugiant dans un entre-soi frileux et protecteur.
Un premier élément de réponse pourrait être esquissé par un dialogue fictif que l’on prête à deux déportés dans l’un des camps de la mort. L’un est croyant, l’autre non. Le second demande au premier : « Où est ton Dieu ? ». Le premier répond : « Où est l’Homme ? »
Sous une apparente évidence ces deux questions soulignent la complexité du problème, elles établissent une vraie problématique.
Effectivement, si Dieu tolérait ainsi toutes les horreurs du monde, s’il n’intervenait pas, il serait soit inopérant, soit complice. Ou alors il n’existe pas. Ces lieux communs courent dans la vie courante. Et ce sont des interrogations légitimes. On ne pourrait dès lors avoir foi en Lui, quel que soit le cas.
Se développerait alors unilatéralement un humanisme, une foi en l’homme qui nous vient de loin. Dans Candide, Voltaire présente un Eldorado qui n’a plus ni juges ni prisons, ni transgressions. La culture, les sciences, la beauté des villes tout a concouru pour éradiquer le mal en l’homme. Mission accomplie. La terre est devenue une terre d’or, un havre de bonheurs. Au XIX ème siècle, Victor Hugo affirme, avec le sens de la formule qui le caractérise : « Ouvrez une école, vous fermerez une prison ».
Partant de ces deux auteurs, et de leur indéniable apport, nous pouvons aujourd’hui mesurer les limites d’un humanisme uniquement centré sur l’homme. Les sciences et l’éducation ont énormément progressé depuis lors, et cela n’a pas empêché des pays de haute culture comme l’Italie et l’Allemagne de tomber dans les pires horreurs, celles du fascisme et du nazisme. Et toute notre culture nationale n’a pas empêché une collaboration honteuse. Nombre d’écoles ont été ouvertes depuis le XIX ème siècle, et les prisons sont toujours là comme une nécessité obligée. A tel point qu’on en arrive même à ouvrir des centres scolaires dans les maisons d’arrêt.
Nous voici donc dans la contradiction la plus complète, une véritable aporie : si Dieu n’intervient pas, comment croire en lui ? Parallèlement, avoir une foi inébranlable en l’homme relève de l’aveuglement. Comment en sortir ?
[1] Dieu, Shakespeare et moi. Woody Allen, 1975