Comment et pourquoi les poètes se sont engagés sur le chemin de la performance, Julien, aucun doute, le sait. Il sait quel sinistre constat on pouvait établir concernant la poésie au cours des années 60 (et même avant si l’on songe à Bernard Heidsieck). Qu’aplatie et avachie dans les pages de plaquettes aussi confidentielles qu’aristocratiques, anémique et exsangue, elle avait perdu toute fonction au sein d’un ensemble social en complète mutation et où, au final de la guerre d’Algérie et aux prémisses de Mai 68, gronde une révolte que les poètes, ceux qui vont devenir des « performers », partagent voire anticipent. Le passage à la performance ne se borne d’aucune façon à l’adjonction d’une « nouvelle » forme d’art et obéit à des intentions dont il est inséparable sans mutilation.
Quant à la nature de ces « intentions », c’est clair : la performance se donne initialement comme critique et protestataire contre d’un côté l’état socio-politique du monde, de l’autre celui du système et du marché de l’art, deux aspects qui sont couple : la fracture entre le monde l’art et ce que pudiquement l’on appelle (souvent) la vie est le strict corrélat de l’intégration de l’art et de la soumission des artistes aux castes et classes dominantes. Echapper à cette fracture, mettre l’art dans la vie et pour cela mettre de la vie dans l’art, voilà ce qui génère la performance, en cela proche parente d’autres courants qui la précèdent de peu ou qui lui sont contemporains, l’arte povera, le NonObjet, la poésie visuelle, j’en passe. Performer, le poète sort de la posture instituée, il n’est plus l’amont d’un texte, il en est le porteur physique et présent, dans un certain moment, dans un certain espace, où désormais tout le corps, bien au-delà du verbe, se fait signe - actions, gestuelle, voix...- d’une façon qui ne peut jamais être totalement contrôlée. Qu’il soit chance (bonheur !) ou ratage Tychè s’y attribue toujours une place réservée. Inutile d’ajouter que ces caractères font de l’acte performatif un moment, à tous égards, d’exception : pas sûr que l’on y soit à la hauteur de soi. Pas sûr que l’on ait l’énergie suffisante pour cela. Toujours présent le risque de se manquer ou de manquer l’offrande. La seule certitude ? - Qu’on retombera de haut ou reviendra de loin.
Tous ces aspects qui correspondent à l’expérience de la performance prise au sérieux, je veux dire selon l’exigence des intentions qui l’ont fondée, on les retrouvera épars dans les Post-Scriptum. Sans diminuer l’intérêt à y picorer, je crois cependant qu’ils en auraient bien moins si les Post-Scriptum n’opéraient en sous main une double conjonction : avec le temps, avec le corps. Connexion effective au moment où Julien, by by la perf !, décide de rompre avec la Maîtresse performance : car, dit-il (non sans sous-entendre), son corps, vieillissant, n’était plus à la hauteur de son ambition. Et oui, sans doute, il en jugea ainsi. Mais ne s’en tint pas là. Ne put s’en tenir là. Pas plus qu’à d’autres « justifications », ainsi les illusions perdues quant aux possibilités de « changer le monde », justifications elles aussi présentes dans les Trois-Tomes. Quelle que soit la validité de ces jugements, souvent sévères, toujours désabusés, ils ne résistent pas à la performance elle-même, à sa force et au fantasme qu’elle suscite d’un come back caressé : remettre le couvert, renouer. Et là apparaît le sens le plus neuf de ces « P.S » : ils sont le creusement d’une question étrange en apparence, celle de savoir pourquoi, quelles que soient les raisons que l’on se donne, la performance est une page que l’on ne peut tourner. Question qui creuse, se creuse au fil des Post-Scriptum, au fil du temps donc. Ca revient, toujours ça revient. Lancine. Jusqu’à ce qui me semble être une conclusion au moins provisoire, savoir que l’on ne peut pas plus se passer de la performance que de la vie avec laquelle non pas contre le temps mais avec le temps elle s’identifie, de « P.S » en « P.S », de métamorphose en métamorphose. Les masques tombent comme les feuilles : les déclar@ctions elles aussi sont des performances, tout poème est performance s’il est poème, la vie est performance quand elle est vraie et rompre avec Elle(s) est plus qu’impossible : ça n’a pas de sens. Alors, dans un monde où la culture est devenue affaire de produits médiatiques à consommer-jeter et où la poésie est peau d’zébi, Julien Blaine continuera à vociférer, tonitruer et même à péter ou cracher comme ça lui chante. En toute inutilité ? - Possible sinon probable. Mais ce qui a été raté (la révolution par la poésie, entre autres car il est bien des formes de vanités) n’efface pas ce qui a été, sera, chemin faisant, vécu, livré, et atteint. Julien peut-il s’en satisfaire ? - 2019 c’est pour bientôt, Neymar de retour au P.SG.
Philippe Castellin (mai 2018)