D’une lecture de l’alphabet élémentaire dont les Trois-Tomes se fait instituteurs. Lecture, on se doute qu’elle ne pourra être qu’ ânonnante comme tout déchiffrement et, ainsi faite acte, réciproque de l’acte d’écriture initié par le poète dont ce lecteur devient complice, indispensable. Les Trois-Tomes ne cessent de répéter l’invite : « A toi de jouer... ». Jouer n’est pas fun, n’est pas un gag, est pour de bon.
Assez de généralités. A s’en tenir à elles, ceux qui ont déjà eu l’occasion d’ouvrir un « livre » de Julien pourraient songer qu’il n’y a rien d’inédit sous le soleil des Trois-Tomes, où par ailleurs les « éléments » dont les pages se nourrissent et emplissent, sont faciles à classer parmi les diverses catégories auparavant mises en œuvre : des « poèmes concrets », des « poèmes visuels », des « notes à dimension réflexive ou narrative », des « carnets de voyage », rien de très nouveau quand on connait les Poèmes Métaphysiques, BiMot, la série des Cahiers de la cinquième feuille, celle des Sorties de quarantaine. Item s’agissant des rugissements poussés contre la domination US, item pour les références à nos proches-lointains ancêtres du néolithique et de l’aurignacien... Oui mais justement : ce qui naguère était classifié et sérialisé se donne maintenant comme « ensemble », et là j’ai envie de dire « recueil » tout en songeant « cueillette », recueil figure au tome II. Volonté de manifester des conjugaisons ? D’établir des ponts ? Emancipation provocatrice vis-à-vis des structures « classiques » dans l’univers des poésies contemporaines (trop) souvent dominées par le souci des règles et contraintes formelles ? - Peut-être : mais au risque du fourretout et du fatras, n’intervenait autre chose, à reconstituer l’unité au sein de l’hétéroclite. Une poutre maîtresse.
Où l’on va retrouver ce que j’ai indiqué, à l’ouverture de ces lignes, le temps. A décliner selon des directions multiples, celle de l’âge comme celle du corps vieillissant, celle des multiples petites morts qui précèdent la grande, celle d’un parcours semé d’illusions perdues ou dont on se défait, celle aussi bien des résurgences que du ressassement, de la hantise ou de l’oubli, celle des objets dont on se sépare ou que l’on égare, des traces qui émergent, au milieu des ruines d’un temple, au fond des cavernes, des amis qui ont disparu, des enfants et petits enfants qui naissent... Tels sont les tours et les retours du temps, les plis et les replis de l’espace. Cherche, Lecteur, tu trouveras exemples de chacun d’eux au fil des Trois-Tomes, te persuadant alors et probablement (?) avec surprise que la poésie expérimentale n’est en rien exclusive du lyrisme, comme on l’a souvent posé. Monumentale erreur à mes yeux et, si je ne m’abuse, à ceux de Julien, de confondre le lyrisme avec les épanchements exaltés de Lamartine&cie. Ici le temps ne suspend pas son vol et là où nous sommes nous sommes, les pieds sur terre avant d’y sombrer. Parce que le sujet est un corps singulier vivant, donc mortel, support de cicatrices, elles aussi marquent d’une écriture discrète sinon secrète. Ma peau comme texture. Ma peau comme parchemin. Ca ne peut-être que par le lyrisme que la poésie se rapporte à la vie, à tout et à tous.
D’où - du temps et de la vie, le rôle des Post-Scriptum, présents dans les Trois-Tomes et aussi de leur « propos » presque exclusif, la performance. Epigraphe du Tome III :
- chjami* [1]
« Contrairement à tant d’autres, il ne voyait aucun lien entre la performance et la poésie »
Jim Harrisson in le vieux Saltimbanque
Editions Flammarion – septembre 2016
- è rispondu** [2]
« Contrairement à Jim Harrison je vois un lien évident entre la performance et la poésie »
J.B in 2017
Editions Impaires – octobre 2016
[1] Chjami : « tu appelles », en Corse où existe une forme de joute entre poètes nommée Chjam’e rispondi.
[2] Rispondu : « je réponds »