RAPHAËL MONTICELLI
En 2017 paraissait sur le site Terreaciel une anthologie proposée et organisée par Florence Saint Roch sur le thème "l’épais des forêts".
Ce texte Stat mater dolorosa est une version largement remaniée de Les voix de l’ange, paru en 2014 aux éditions de la Diane française avec des illustrations de Muriel Desambrois. On pourra trouver Les voix de l’ange ailleurs sur ce site.
Ci-dessous, Stat mater dolorosa. Ci-dessus l’adresse URL de l’anthologie "L’épais des forêts"
si tu meurs
Mère
tu renaîtras
si tu meurs
Mère
je mourrai
J’ai été millions traversant l’espace
heureux dans tes sous bois
protecteurs ma protectrice
J’étais l’enfant
sans voix la terre
portait des odeurs d’aube
de nuit
la fraîcheur de source où frissonnaient
des vies imperceptibles
Les anges dit-on
Tu me tenais dans tes bras tu savais
déjà ma mort à l’œuvre tu savais
que les sources en moi tariraient
que je sècherais retournant
terre dans la terre
calcaire dans le calcaire
eau perdue parmi les eaux
bribes d’espace perdues dans l’espace
atomes mêlés aux atomes de l’air
J’étais l’enfant sans voix
Et tu souffrais
++++
J’ai été millions creusant l’espace
tout tremblait tu étais
présente et si fragile
entourée entourante
mille bras ailes au vent ouvertes
venu de toi vers toi je suis venu
insouciant triomphant
oublieux
t’oubliant
je suis venu vers toi
oubliant
que j’étais venu de toi
que tu m’avais donné ton air ta chaleur ta douceur
ta fraîcheur l’eau de tes fruits la douceur animale
le lent
travail des vies minuscules
l’air qui m’inspirait
oublieux
t’oubliant
oubliant
m’oubliant
triomphant
j’ai été pour toi un sujet de souffrance
une balle tirée de loin par un snipper
++++
J’ai été des millions traversant les déserts
fuyant la haine
fuyant
les couteaux les fusils les balles
fuyant
le massacre des innocents
j’ai été des millions
portant en moi toi qui me portais
portant en moi tes odeurs vivantes
porté par tes odeurs de vie
toi présente
accompagnant ma fuite
toi souffrant
de me voir fuir
et fuyant avec moi
écartelée de toi
Je me suis éloigné de toi
foule parmi les foules
écrasant la terre foulant
des vies
brisant tes arbres élevant
des murs des tours
brisant
l’harmonie des souffles animaux traquant
oiseaux et bêtes fauves Ce qui restait de toi
souffrait de ne plus me sentir près de toi
souffrait
de me sentir perdu
++++
J’ai été millions
portant tes arbres morts assassinés
que tu m’as vu porter
millions portant tes millions d’arbres vivants
pour en faire massues gourdins gibets et croix
Tu m’as vu
porter tes arbres morts ma mort sur mes épaules
Tu m’as vu aller à la mort
Tu m’as vu
retourner contre moi la mort que je portais
retourner contre moi ta mort
Tu m’as vu
incapable de me tourner vers toi pour retrouver
la mélodie des souffles de l’air parmi tes herbes et tes branches
Tu m’as vu mort
tu as vu et tu vois
mère souffrante
tu vois
venir
ma mort
Tu me recueilleras
millions de souffles disparus
os lentement blanchis poussières
Tu mêleras tes sèves tes flux tes eaux
branches et racines
musiques et lumières
ombres fraîcheurs
herbes ronces humus des humbles vies
à mes restes dont tu te nourriras
Je serai milliers de millions ensevelis
dont tu referas
vie
++++
Et je reviens vers toi
rêvant de rêver encore parmi les herbes
J’effleure ta peau d’animal rugueux
placide bienveillant
Timidement je creuse
comme toujours
ta terre
ma terre
pour quelque temps encore
humant les mille odeurs qui s’y composent
creuset vivant parfums de vie
source
Je viens vers toi
me perdre comme si
je pouvais encore t’être fidèle
Je sais ta souffrance
Et toi tu donnes
tout ce que peut donner une mère affligée
la douceur encore un peu de joie un peu
de cet apaisement dans l’harmonie des bêtes et des herbes
la patience têtue des lombrics les frôlements
d’une aile un chant soudain
un vacarme
un feulement parfois encore
des crissements
le passage discret d’une harde
un hululement
les pièges fragiles des araignées fileuses
où le monde se diapre
Je reviens vers toi encore
La voix des anges
est désormais si loin