« Si l’homme a besoin de mensonge, après tout libre à lui ! Mais enfin : je n’oublierai jamais ce qui se lie de violent et de merveilleux à la volonté d’ouvrir les yeux, de voir en face ce qui arrive, ce qui est. »
Georges Bataille
1-
Quand je regarde l’œuvre d’Alain Lestié, je pense à un homme en marche sur des terres inconnues. Quelqu’un qui a pris par l’étranger, sans cadastre, et qui va à l’estime, chaque avancée doutant de sa position nouvelle. Un homme qui passe attentif aux impasses. Moins cul de sac qu’apories, embarras de passage. Et moins obstacle qui soudain barrerait le chemin que cet embarras du choix quand la voie est libre et qu’au carrefour se divisent les routes sans que l’on sache quelle voie prendre ?
2-
Sous l’influence de Braque et du retour de Dada, il prend parti contre le courant abstrait. Ce sont ses premiers pas en 1963. Trois ans après, il s’arrête de peindre. Son retour à la peinture est marqué par l’abandon de l’huile au profit de l’acrylique qui lui permet de franchir quelques degrés vers plus d’impersonnalité. En 1993, c’est l’abandon de la couleur au profit des dessins au crayon Nero, argile et suies mêlés. 2010, sous l’impulsion de Jean-Paul Aureglia, maître d’œuvre des éditions Quadrige/La Diane Française, c’est la découverte de la gravure sur bois.
3-
Avec cette proposition d’un « Art au carré », courant 2012, le voilà obligé à revisiter parcours et étapes. Ce qui sera tout reprendre de la masse de dessins accumulés en plus de quinze ans : suppression, recadrages, réassemblages, greffes diverses. Une seule idée : tout ramener au présent de son exigence d’aujourd’hui. Cette nécessité de faire exister l’œuvre hors de soi et en avant de soi ne laisse pas de m’émouvoir.
4-
« Où commence l’avenir ? » Certainement pas en une fois mais c’est toujours le travail fait, déjà fait qui déclenche, en liaison avec quelque chose qui survient, par exemple, le projet de graver des bois ou tel événement plastique qui soudain fait apparaître un trait sans pareil dans la démarche du peintre. Une fracture, une déchirure, un jour à partir de quoi tout s’éclaire autrement. Le passé se transforme alors en réserve d’avenir. Ainsi de cet « Art au carré. »