JEANNE BASTIDE
Un journal qui resterait ouvert.
Les pages et les mains en attente.
Nulle prédation. Plutôt une posture de réception. Laisser venir…
Mardi
L’ombre. La lumière. La trace. La disparition. De quoi méditer…
J’efface des photos.
Effacer… « faire disparaître de la pensée sans laisser de trace » puis « empêcher de paraître par sa propre existence »
Il y a disparition… mais la trace elle-même ?
La disparition. La séparation. L’absence.
La photo disparait, le souvenir est encore là. Il se décolore petit à petit.
Quelquefois on s’efface pour laisser la place.
Ainsi, quand j’efface des photos je fais la place pour du neuf.
Il y a là de l’oubli. Le soleil efface les couleurs. Les douleurs. (Un déjeuner de soleil)
L’ombre, que fait-elle ? protège-t-elle ? Quand je reste dans l’ombre, qu’est-ce que je fais ? Je me protège. Je ne désire pas être dans la lumière ?
Jeudi
Cette nuit, une phrase … J’ai attrapé le temps par le bout de l’éternité.
A défaut d’être immortelle peut-être suis-je éternelle ?
Vendredi
La pendule de la cuisine d’été s’est arrêtée à sept heures moins sept.
Le temps ne s’est pas arrêté pour autant. Chaque jour je prends mon petit déjeuner, mon déjeuner et mon souper à la même heure affichée. Aucun désir de regarder ma montre. Il est l’heure définitive de manger…
La nuit, je rêve.
Flou et précis à la fois. Des détails pointus et des sensations nébuleuses.
Souvent des maisons. Cette nuit, j’étais accueillie dans une demeure sur une montagne. Il fallait d’abord y arriver par un chemin escarpé. Un refuge. La propriétaire nous laissait visiter. Du ciment lissé. Beaucoup de rose pâle. (Les rideaux – le béton lustré). Des animaux, dont un, dans une fosse, orignal. Poilu et de plusieurs couleurs.
Dimanche
Tant que nous sommes ensemble, la vie est possible. Le monde à la bonne dimension.
C’est la séparation qui rompt l’harmonie. La solitude. L’ordre des choses est aboli. L’univers est démantelé, pulvérisé, à reconstruire.
Accablés, on s’essaie à raccommoder l’endommagé.